Hymne à la vie : Tchekhov
Ceci est un hymne à l'amour pour Tchekhov, immense auteur qui à chaque représentation me laisse béate, stupéfaite, abasourdie, éblouie. Tchekhov éternel, qui se prête à toutes les interprétations, tous les détournements, toutes les modernisations. Sorte d'existentialiste avant l'heure, on lui aura reproché sa noirceur, on admet communément son génie.
Tchekhov c'est celui qui durant l'espace de deux heures transporte des vies sur scène. Tchekhov n'écrit pas du théâtre sur un thème donné, comme un Tartuffe, un Misanthrope, un Cid, ou bien d'autres chefs d'oeuvres théâtraux ayant pourtant ce point commun fâcheux que de tenir leur force principal du thème qui les pousse. Chez Tchekhov au contraire, on retient l'état d'être, le drame, l'ambiance, le sentiment, l'extraordinaire, le merveilleux de cette seconde qui fait retenir son souffle à tout le théâtre lorsque deux êtres s'aimant s'effleurent de mots insignifiants, se frôlent mais ne se touchent jamais pour enfin se perdre de vue pour toujours.
La force et la beauté du théâtre de Tchekhov, c'est le non-dit. Le sous-jacent, l'état d'être presque physique, puissant aux odeurs de myrrhe prégnantes, éternelles. Tchekhov raconte un état de fait, celui de cette famille qui refuse de quitter ses souvenirs chéris, sa vie d'avant, mais laisse muet devant la complexité et la finesse de chacun des personnages, jusqu'au plus insignifiant. A vrai dire, aucune hiérarchie n'est mise en place entre les différents personnages et c'est stupéfiant. La Cerisae, c'est l'histoire d'Andréïevna qui refuse de quitter son chez elle et qui dilapide son argent dans une générosité dangereuse.
Car chacun des personnages de Tchekhov est fin, les relations s'entrelacent dans une fresque brillante d'intelligence, de sensibilité et d'humanité. Tchekhov ne fait pas de fioritures, tout est là, rien n'est surfait, tout est vrai, précis, administré avec parcimonie sans voyeurisme aucun.
La passion les embrase, nous partons avec et chacune des phrases nous transperce au corps.
Voir la Cerisae, c'est voir un hymne à la vie, c'est une déclaration d'amour immense, chacun des mots, des mimiques des acteurs provoque une irrévocable mélancolie, joie.
Le théâtre de Tchekhov est un théâtre de la profondeur, du sentiment, du drame et social. C'est un bonheur pour les acteurs en ce qu'il leur permet de s'exprimer dans une finesse extraordinaire et je ne saurais jamais assez saluer le personnage de Firs. Firs qui porte la Cerisae et qui s'y laisse mourir. Dernier hommage à l'immense Jean-Paul Roussillon qui signa ici en 2009 son dernier rôle.