Classique des sciences humaines, je dois bien avouer que la lecture de cet ouvrage m'inquiétait pour le caractère "futile" des sujets qu'il abordait: un historique de comment se moucher, se tenir à table, se coucher, se laver, me paraissait profondément vain, au mieux une collection érudite de petites anecdotes. D'où une tendance à repousser sa lecture.
A la réflexion je pense que j'ai eu grand tort de procrastiner. Au-delà de l'apparente légèreté de cette histoire des moeurs il faut bien souligner l'importance de la thèse d'Elias, celle de l'émergence progressive d'une société de l'autocontrole, de la répression et de la privatisation des pulsions et des besoins naturels qui sont devenus autant de marque de "civilisation ". C'est cette dynamique qui conduit du Moyen-âge aux années 1930, de l'époque "courtoise" à l'époque "civilisée".
Ce livre est aussi un réel effort pour déchausser les lunettes du présent, se replonger dans les manières de concevoir le monde de l'époque, en soulignant l'évolution des valeurs devant lier les usages et comment à force de vouloir se distinguer sont apparues des normes "civilisées " intégrées dans l'inconscient collectif bien avant que la problématique hygiéniste, souvent mise en avant, n'explique ces évolutions.
A noter aussi, sans que je puisse évaluer sa pertinence, la réflexion d'Elias sur l'éloignement de l'adulte et de l'enfant que cette évolution des civilités aurait provoqué.
Reste que l'ouvrage fait quand même 500 pages et contient forces extraits de documents analysés par Elias qui se laissent parfois lire en diagonale. D'où la note.
Je conclurais cette critique sur une note plus positive avec cette phrase qui me semble le mieux résumer cet ouvrage et en résumer la portée: "L'histoire d'une société se reflète dans l'histoire interne de chaque individu: chaque individu doit parcourir pour son propre compte le processus de civilisation que la société a parcouru dans son ensemble; car l'enfant ne naît pas "civilisé ".