Un DLC en guise de cadeau d'adieu
Si comme moi vous n'avez pas fini le septième tome de la Tour Sombre, et que vous hésitez à vous lancer dans la lecture de ce nouveau roman, soyez rassurés : l'intrigue s'intercale entre les épisodes 4 et 5, et fondamentalement, il se passe tellement peu de choses que vous ne risquez de vous spoiler quoi que ce soit. Pour autant, "La clé des vents" ne manque pas d'intérêt, mais il faut simplement le considérer comme une histoire annexe, et non comme un nouvel épisode canonique.
Pour vous résumer les choses, cet épisode 4.5 est composé de 3 histoires imbriquées les unes dans les autres, telles des poupées russes. Après avoir quitté le Palais Vert, et peu avant leur arrivée à Calla Brynn Sturgis où sévissent les fameux loups, les 5 membres du ka-tet sont pris au dépourvu par un "coup de givre" qui ravage tout sur son passage. Alertés par Ote le bafou-bafouilleux, ils se réfugient tant bien que mal dans une maison abandonnée, et en attendant que la tempête de froid passe son chemin, Roland décide de leur raconter au coin du feu une aventure qui lui est arrivée peu après le décès de sa mère.
Roland était alors adolescent, et son père lui confia une mission à accomplir en dehors des terres de Gilead. Accompagné du taciturne Jamie de Curry, il dut ainsi se rendre dans une petite bourgade répondant au nom de Debaria pour la débarrasser d'un "garou" responsable de plusieurs massacres. Au cours de son enquête, le jeune pistolero rencontra un garçon dénommé Billy : ce dernier avait vu la fameuse bête en pleine action, et il était terrorisé à l'idée de devoir l'identifier. Pour le rassurer et l'aider à surmonter sa peur, Roland décida de lui raconter une longue histoire que lui lisait sa mère quand il était enfant. Le nom de cette histoire ? La clé des vents.
Avec seulement 285 pages au compteur dans sa version illustrée, il n'était guère envisageable d'avoir 3 sous-intrigues de la même envergure, et celle qui ressort du lot est clairement le conte de 135 pages que Roland narre au jeune Billy. Je n'irais pas jusqu'à dire que le reste n'est que du remplissage, mais concrètement, il ne se passe pas grand-chose dans les deux "sur-intrigues" que je vous ai brièvement résumées. Le cœur de ce huitième opus du cycle de la Tour Sombre se trouve dans l'histoire du jeune Tim Bravecoeur, et si cela chagrinera les puristes qui espéraient découvrir de nouvelles aventures épiques des cinq ka-mis, ce conte pour enfants n'a strictement rien à voir avec la vie de Roland Deschain.
Pour vous résumer les choses sans trop vous en dévoiler, sachez donc que vous suivrez les aventures d'un jeune fils de bûcheron qui part seul dans une immense forêt, à priori inhabitée, pour tenter de rendre la vue à sa mère adorée. Sur son chemin, il rencontrera un mystérieux collecteur d'impôts tout de noir vêtu (tiens, tiens…), un dragon amateur de bains de boue, ainsi qu'un peuple amical avec lequel il ne pourra échanger verbalement mais dont la bonté hantera ses rêves jusqu'à sa mort. Cette quête initiatique dans un monde où la magie n'est pas qu'illusion et où les GPS ont une âme fera de lui un homme, un vrai, et la similitude avec la mission du jeune Roland que j'ai évoquée précédemment ne peut pas être que le fruit du hasard…
En termes d'écriture, Stephen King ne déçoit nullement, et comme dans les recueils de nouvelles qu'il affectionne tant, il se contente d'aller à l'essentiel sans nous bassiner avec ses tics d'écriture habituels (pas de voix dans la tête dans ce roman !). Il parvient ici à se mettre dans la peau d'un préadolescent avec beaucoup plus de conviction que dans "La petite fille qui aimait Tom Gordon" : hormis 2 ou 3 réflexions trop poussées pour un enfant, Tim Bravecoeur est dans son ensemble assez crédible, et l'auteur parvient sans difficulté à faire oublier qu'il avait soixante-quatre ans lorsqu'il a achevé l'écriture de ce livre.
"La clé des vents" n'est donc pas un véritable roman de la Tour Sombre. Susannah, Eddie, Jake et Ote ne font que de la figuration, et le jeune Roland ne tient pas le premier rôle dans cette œuvre. Tout comme il l'avait fait avec "les Yeux du Dragon", Stephen King me donne l'impression d'avoir avant tout voulu écrire un conte pour enfants, et tout ce qui concerne le monde de la Tour Sombre ne me semble être que de l'enrobage destiné à combler des fans en manque depuis la conclusion de l'histoire de Roland Deschain.
Il faut donc prendre ce livre comme un ultime cadeau fait à ses lecteurs, et non comme un épisode à part entière du cycle de la Tour Sombre. Si le vocabulaire utilisé par l'auteur nous rappelle que nous sommes bien dans l'entre-deux-mondes (Aïle, gunna, pookie et j'en passe…), nous apprenons finalement peu de choses sur la vie du pistolero aux yeux bleus, et le thème qui ressort le plus de ce livre n'a pas grand-chose à voir avec l'Oeil Rouge ou ladite tour : si "Duma Key" nous parlait d'amitié masculine, "Histoire de Lisey" d'amour conjugal et "Blaze" d'amour paternel, "la Clé des Vents" nous parle essentiellement de l'amour indéfectible d'un enfant pour sa mère. Maintenant qu'il commence à avoir un certain âge, Stephen King semble utiliser ses livres comme des prétextes pour envoyer des déclarations d'amour à ses proches, et il émane de son écriture une dimension affective qu'on ne lui soupçonnait pas auparavant. La boucle est donc bouclée, et maintenant que tout a été dit sur eux, Stephen King peut désormais laisser Roland et ses amis reposer en paix.