« Et ces imbéciles qui souriaient, ce soir, en me voyant traverser
leurs rues ! »



Après deux volets à Paris, on retourne au lieu des tout débuts, dans le sud de la France, à Plassans, pour ce quatrième volet des Rougon-Macquart, La Conquête de Plassans. Quatrième volet ayant certainement la particularité peu enviable d'être celui des vingt romans composant la saga d'Emile Zola à être le plus méconnu de tous (si on se base sur les chiffres de ventes !).


Plassans a eu l’infâme audace de trahir l'Empereur en passant aux légitimistes. Heureusement, l'abbé Faujas est envoyé sur place pour régler aussi discrètement qu'efficacement ce problème. Ce religieux, aussi rigide que misogyne, va loger avec sa mère dans la grande maison d'un couple d'anciens commerçants, vivant sans histoire d'argent accumulé, François et Marthe Mouret, avec leurs trois enfants. Au début, totalement effacés, l'abbé et sa mère vont cependant, l'air de rien, prendre de plus en plus de place dans la maison et aussi dans l'esprit de ses habitants. Marthe, jusqu'ici femme qui restait cantonnée à son foyer, va, sous l'influence de Faujas, se laisser posséder par une véritable folie mystique et une véritable fascination pour l'homme en noir. Folie et fascination qui vont même dépasser celui qui en est le responsable. Et ce n'est pas l'arrivée de la détestée sœur du religieux et de son ivrogne de mari, parasites professionnels, qui va arranger les choses...


On oublie les très longues descriptions, on oublie les peu nombreux et très longs chapitres des romans précédents, et on remplace le tout par un style sec, allant à l'essentiel, et sur plusieurs chapitres courts.


Et c'est sur ces chapitres courts et sur cette absence de descriptions longues (étonnante chez Zola !), que plus que la dénonciation des liens un peu trop étroits entre le monde politique et celui religieux (faisant surtout office ici de prétexte et de toile de fond !), on a le récit d'une cellule familiale qui, par la présence d'une seule personne, va totalement éclater. À laquelle va s'ajouter une autre cellule familiale, celle de l'abbé, mais qui ne va pas éclater puisqu'elle l'est déjà. Deux cellules familiales qui vont se mélanger et qui vont être deux véritables enfers cohabitant. Le tout symbolisé par la propriété des Mouret, mais qui ne va pas le rester (et cela, jusqu'au jardin !). Une histoire qui aurait pleinement eu sa place dans un film de Buñuel.


Le récit va être cruel, implacable et particulièrement anxiogène. On peut même dire que La Conquête de Plassans est le plus anxiogène des romans d'Emile Zola, avec Thérèse Raquin. La fin, l'apothéose, donne l'impression d'assister à un vrai feu d'artifices (la réaction des bourgeois de la ville est incroyable, c'est limite si je n'ai pas eu envie d'en rire !) alors que c'est une vraie tragédie qui est en train de se dérouler.


Et le personnage de l'abbé Faujas est un véritable modèle de complexité. Semblant au-dessus de toute chose terrestre, mais pourtant manipulateur digne de Machiavel pour les choses de ce monde, désintéressé, mais pourtant très intéressé, d'un abord rude, mais qui sait pourtant au besoin être charmant, discret, mais pourtant très présent, sale, mais pourtant attirant, avec ce personnage, Zola a pleinement réussi à créer un être bourré de contradictions, donc d'une grande justesse, aussi détestable qu'intrigant et inoubliable.


La Conquête de Plassans, avec toutes ses qualités, mérite donc clairement d'être plus dans la lumière, en ce qui concerne la série des Rougon-Macquart, au lieu d'y avoir le titre peu enviable d'œuvre la plus méconnue.

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le 17 nov. 2021

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Plume231

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