Le titre est ambigu. Il ne s'agit pas d'un projet de société où chacun serait sympa avec les autres, où nous offririons l'apéritif au voisin tous les soirs. Le titre anglais est "tools for conviviality". Il s'agit en fait de proposer un autre usage de l'outil: que l'outil soit au service de l'homme et non son maître.
J'ai découvert le nom d'Ivan Illich sur le site de carfree qui propose une vision de la société à hauteur de guidon. Il est souvent cité comme penseur contre la voiture. Mais cela va plus loin. Illich est un penseur critique de l'industrialisation, de la façon dont le fantasme de la croissance, de la technoscience embrigade l'individu dans des systèmes où il se perd, s'anonymise, perd en autonomie...
Dans la convivialité (1974), Illich fait d'abord le bilan de notre société industrielle, sorte de dénaturation où chacun d'entre nous ne peut s'émanciper des chaines qui se sont construites autour de lui de plein gré ou de mauvaise grâce: "Il nous faut reconnaître que l'esclavage humain n'a pas été aboli par la machine, mais en a reçu figure nouvelle". Par conséquent, il appelle société conviviale "une société om l'outil moderne est au service de la personne intégrée à la à la collectivité, et non au service d'un corps de spécialistes. Conviviale est la société où l'homme contrôle l'outil". L'homme devient alors "austère". C'est alors l'outil qui est convivial et non l'homme. Voilà pour les concepts de base.
Il fait le constat que l'homme s'est perdu dans la technoscience (nous sommes des idiots émerveillés qui ne comprenons rien aux technologies que nous employons. Il faut selon lui passer de la productivité à la convivialité.
Pour Illich, c'est un tout cohérent. Ainsi par la force de cette convivialité, le savoir, les outils ne sont plus l'apanage d'industries ou 'individus formatés et promus par leur correspondance au système dominant, mais appartiennent alors à tout le monde, puisque tout le monde peut les contrôler.
Il s'agit ici aussi de proposer une vision éthique de l'outil. Il faut selon lui poser les bornes de l'utilisation afin que l'outil ne déborde pas notre humanité. Il suffit de voir comme nous sommes dépendants aujourd'hui de l'outil informatique, du téléphone portable ou de la voiture pour se rendre compte que l'ambivalence non évaluée socialement et politiquement de la technologie fait de nous les esclaves de nos outils.
Mais la pensée d'Illich déborde le cadre simple de l'outil pour proposer une vision globale de la société. Il parle de pollution, d'émancipation (même s'il n'utilise pas le mot), du travail. Il est en recherche d'une société plus juste, à vision humaine, où l'individu devient réellement maître de sa destinée (savoir, santé, outils). En cela, il propose une reprise en main de notre destin tout en se rendant compte qu'une éventuelle transition serait douloureuse. Contre l'utilitarisme, contre la croissance, contre l'industrie, l'accumulation, il offre une vision ascétique mais noble, austère mais généreuse.
1974 et un constat déjà bien réaliste, pour une transformation qui n'a toujours pas eu lieu. Est-ce même possible?
Peut-être un des pères de la décroissance(ascèse, austérité, frugalité)?
"Lorsque l'outil asservit la fin qu'il devait servir, l'usager devient le proie d'une profonde insatisfaction. S'il ne lâche pas l'outil -ou si l'outil ne le lâche plus-, il devient fou. Dans l'Hadès, le châtiment le plus épouvantable était réservé au blasphémateur: le juge des enfers le condamnait à une activité frénétique. Le rocher de Sysiphe est l'outil perverti."