(Bernanos)
Huguenin écrit son unique roman, encensé par la critique, et meurt dans un accident peu de temps après. Destin tragique pour ce jeune auteur prometteur que d’aucuns classeraient dans la bande des Hussards (Nimier etc), destin noir qui pèse lourd dans ce livre comme pèsent les sirènes annonciatrices dont on ne sait jamais décrypter les signaux d’alerte pourtant clairs.
Olivier après son service militaire retrouve en Bretagne sa mère maladive et ses sœurs perdues, l'une névrosée et hostile et l’autre, Anne, douce mais à deux doigts de se marier avec son ami d’enfance. Le père, lui, mort pendant la Guerre, a été désacralisé par ces trois femmes pour lesquelles ressentiment et rancœur constituent l’horizon indépassable. Olivier le revenant, l’homme fort, s’érige en gardien du temple paternel.
Ainsi se déroule un drame contenu, étouffé et étayé par deux forces sourdes : l’une faite de communion avec la nature, l’océan, la Bretagne sauvage et l’autre de nostalgie de l’enfance perdue, des dernières vacances familiales, de la peur de la solitude et de la vieillesse. Et en monstre froid Olivier tente de retourner, balayer, chambouler, dans une forme de destruction créatrice, le destin de cette famille résignée pour en empêcher l’inéluctable chute : aux souffrances passives, parasitaires, d’esclaves, Huguenin oppose les souffrances actives, nietzschéennes, nécessaires aux Hommes libres.
La construction du roman est remarquable, le romantisme de Huguenin merveilleusement anachronique et méthodique, la prose solaire (et par pitié ne réduisons pas l’histoire à celle d’un « inceste », comme on peut le lire ici ou là, ce serait manquer l’essentiel du roman). Incontestablement dans mon top 10 livres, si j’en avais un.