À Arkham, le séjour d’un jeune architecte est bouleversé par la légende d’une météorite comme aucune autre qui s’écrasa autrefois dans la région. On raconte qu’elle altéra la faune et la flore provoquant ainsi une spirale de malheurs.
Beautiful Nightmare
Quand on entame pour la première fois la lecture d’un livre signé Lovecraft, c’est toujours avoir dans les mains une nouvelle pochette surprise qui promet toutefois de nous terrifier avec sa maîtrise stylistique composée de phrases alambiquées, mais aussi d’adjectifs et de superlatifs bien choisis. Si vous connaissez bien Lovecraft, vous savez donc qu’il est la proie d’une obsession féroce à l’encontre des mystères de l’univers. L’auteur aime en effet susciter des nouvelles rencontres entre notre monde et ceux venus d’un univers lointain, voir même d’univers qui ne peuvent être ni cernés ni situés. A mon sens, le présent ouvrage est le plus symbolique du génie et de l’imaginaire de HP Lovecraft.
Fondateur de mythes et de légendes, Howard Phillips Lovecraft incarne un des écrivains les plus connus qui donna ses lettres de noblesse à la littérature fantastique. Et pour cause, l’auteur influence encore aujourd’hui la culture littéraire, cinématographique, et même vidéoludique. Le cauchemar prend souvent sa place auprès d’un constat peu reluisant : en des temps antédiluviens, les profondeurs de la galaxie ont amené des forces innommables et indescriptibles à désirer une domination totale sur notre monde et le genre humain. Ces horreurs cosmiques correspondent le plus souvent à des menaces inconnues et plus ou moins invisibles, provoquant une dégénérescence mentale et physique via une puissante influence. Nous-même, en tant que lecteur, nous ne pouvons jamais réellement conserver une pensée linéaire et logique face aux événements qui nous sont racontés.
La tourmente est l’arme de prédilection de ce type de récit, malmenant tous les raisonnements qui tenteraient d’expliquer l’inexplicable, de nommer l’innommable, de décrire l’indescriptible. Il est d’ailleurs agréable de constater à quel point l’imaginaire de Lovecraft et celui de son lecteur fonctionne en parfaite symbiose. L’un ne pouvant se passer de l’autre et travaillant ensemble afin de façonner dans notre esprit une vague image, à peine perceptible mais suffisamment terrifiante, aux pires horreurs de nos pires cauchemars. Pour toutes ces raisons, La couleur tombée du ciel correspond à une signature de Lovecraft tant le livre est fidèle au schéma lovecraftien dans tout ce qu’il représente, mais aussi vis-à-vis de toutes les intentions recherchées à notre égard.
Extrait : « C'était une constellation monstrueuse de lumière surnaturelle, comme un essaim gonflé de lucioles nourries de cadavres dansant une sarabande d'enfer sur un marécage maudit »
Sighting in Arkham
À la Nouvelle-Angleterre, dans la région d’Arkham, un jeune architecte étudie un ambitieux projet de réservoir non loin d’un lieu nommé « la Lande Foudroyée ». Rapidement, les rumeurs d’une horreur sans nom survenue quelques années auparavant arrivent aux oreilles du jeune homme. D’abord sceptique face aux dires de ces racontars qui semblent plus ou moins tous faibles d’esprit, la désolation dans laquelle est plongée l’environnement ne laisse que peu de doutes face à des histoires apparemment véridiques. Le paysage, jadis propice à l’agriculture, est grisâtre, mort, et couvert de cendre. La cause en serait une météorite étrange comme aucune autre, davantage un organisme conscient et surnaturel de terraformation capable de faire muter plantes, animaux, et hommes. Flasque, changeant, imprévisible, ce petit bout de l’espace jette son dévolu sur notre planète, faible et vulnérable, endormie par l’étroitesse d’esprit de ses habitants.
L’intelligence du récit est celle de déchaîner des horreurs sans toutefois les dévoiler excessivement et intégralement. Il est le plus souvent question de suggérer les atrocités surnaturelles dans la région d’Arkham avec des émotions puissantes dans un conflit triangulaire entre l’Homme, la Nature, et cette présence venue d’ailleurs. Au service de la peur et de l’angoisse, l’esprit du lecteur fait le reste alors que le présent ouvrage n’exprime tout son maléfice qu’à travers des descriptions nébuleuses. Jamais dans cette intrigue il ne sera fait mention, sinon avec le plus grand mystère, de la nature exacte de cette couleur, ne lui octroyant ainsi aucune réelle motivation ni raison tangible pour justifier l’hécatombe dont elle est fautive. « C’était juste une couleur » décrète un racontar et illustrant ainsi parfaitement l’horreur absconse de la chose.
Quoi qu’il en soit, malgré son aspect ouvertement surnaturel le livre prend une ampleur plus puissante si l’on garde à l’esprit l’idée simple que la mutation néfaste d’un environnement et d’un écosystème est une vérité bien réelle. Si Lovecraft imagine en 1927 une couleur venue d’ailleurs capable d’engager un travail de terraformation néfaste, nous avons dans notre réalité concrète provoqué l’apparition de maladies et de catastrophes parfaitement capables d’engendrer des difformités. Rétrospectivement, citons Tchernobyl, Hiroshima et Fukushima, ou plus simplement le climat de pollution écologique et ses répercussions actuelles.
Extrait : « La ferme tout entière baignait dans cette couleur mêlée, inconnue et hideuse : les arbres, les bâtiments, et même la verdure et l'herbage qui n'avaient pas complètement tourné à la fatale désintégration dans la grisaille. Les branches se tendaient toutes vers le ciel, coiffées de langues d'un feu immonde, et des ruissellements chatoyants de ce même feu monstrueux se glissaient autour des poutres de faîtage de la maison, de la grange, des appentis. C'était une scène inspirée d'une vision de Füssli, et sur tout le reste régnait cette débauche de lumineuse inconsistance, cet arc-en-ciel hors du monde et hors mesure de secret poison, qui naissait du puits - bouillonnant, palpant, enveloppant, s'étendant, scintillant, étreignant et faisant malignement des bulles dans son cosmique et inidentifiable chromatisme. »
Conclusion
La poésie étrange et hyperbolique caractérise la maitrise stylistique de Lovecraft. Avec une certaine aisance, l’auteur s’approprie le raisonnement scientifique, toujours très logique et prosaïque, afin de le mystifier dans le but de brouiller plus efficacement encore les frontières qui séparent le fantastique du réel. Il est en effet question de repousser la science et sa cosmologie, quitte à rendre caduque les lois générales par lesquelles l’Univers est gouverné à travers le grand mystère de cette couleur venue d’ailleurs qui chamboule toutes nos croyances et tous nos acquis.
C'était juste une couleur