Fini !
Enfin. 7 à la première lecture, sûrement plus à la suivante ; l'erreur est de lire un chercheur pétri de marxisme après Marx lui-même. Des brouettes de mots banalisés ne retiennent pas mon attention...
le 1 déc. 2014
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Superbe essai qui prend instantanément une place centrale dans mon cheminement intellectuel contre la modernité. Le sociologue et historien américain Christopher Lasch dans son livre La Culture du narcissisme s'attelle principalement à décrire les transformations psychologiques de l'individu aux États-Unis à partir des années 60, c'est-à-dire aux prémices de la société de consommation capitaliste triomphante. La modernité, et ses diverses acceptions (société de masse, consommation, athéisme, crise de l'héritage et de l'autorité, hégémonie de l'individu roi, acculturation etc.), a façonné une nouvelle typologie d'individu avec sa psychologie, sa relation à l'autre et sa perception du monde radicalement différente de ce qu'elle fut par le passé. Le plus terrifiant finalement, c'est de s'apercevoir que contrairement à ce que l'on pense, nous ne sommes pas si différents de l'individu moyen qui compose la masse. L’homme-masse est celui qui, comme son nom l’indique, appartient à la masse, c’est-à-dire à l’homme moyen, par opposition à l’élite toujours minoritaire. Bien des passages m'ont glacé le sang et décrivant avec minutie le portrait psychologique du narcisse moderne. Résultat : nous nous comportons globalement tous de manière identique avec les mêmes névroses, les mêmes réflexes conscients et inconscients. Disons que nous sommes le fruit de notre époque, difficile de s'en extirper.
Le portrait du narcissique moderne prend place au cœur d'une analyse plus globale et complexe des mutations profondes qui ont transformé la civilisation occidentale au cours du siècle dernier. Celle-ci présente trois points centraux. Le premier est que la culture du narcissisme favorise la jouissance immédiate. Christopher Lasch met en évidence les troubles pour l'individu moderne à prendre en considération à la fois le passé (sans le tourner en dérision et/ou le mépriser) et le futur. L’individu moderne a perdu la notion de son inscription dans une succession de générations qui le guide vers l’avenir. En effet, les personnes âgées ne peuvent plus transmettre la sagesse de leur expérience dans une société où le présent occulte le passé comme le futur. Elles aussi atteintes par la culture du narcissisme, elles cherchent plutôt à prolonger leur propre jeunesse. L’hédonisme de l’instant aurait ainsi étouffé toute projection dans l’avenir.
Puisque la société n’a pas d’avenir, explique Christopher Lasch, il est normal de vivre pour l’instant présent, de fixer notre attention sur notre propre « représentation privée », de devenir connaisseurs avertis de notre propre décadence, et enfin, de cultiver un "intérêt transcendantal pour soi-même".
Deuxième point, la culture du narcissisme est un symptôme de l’idéologie du progrès. Le point de départ de Christopher Lasch est la transformation de l’éducation, devenue libérale et progressiste pour satisfaire au culte de la spontanéité et de l’authenticité. Cette évolution est concomitante de la disparition du rôle traditionnel de la famille, désormais remplacée par diverses institutions publiques. Elle aurait fait perdre aux nouvelles générations le sens de l’autorité et de la discipline, toutes les deux discréditées par les modes de pensée « thérapeutiques » (la psychanalyse, les doctrines progressistes, certains courants sociologiques, etc.) ayant pour but de supprimer l’inégalité et la conflictualité des relations humaines. Or, pour Christopher Lasch, ces modes de pensée ont laissé intact le processus de domination en même temps qu’elles ont considérablement fragilisé le psychisme individuel.
Dans une société sans autorité, écrit-il, les couches inférieures ne ressentent plus l’oppression comme de la culpabilité, elles intériorisent une conception grandiose des chances offertes à tous, ainsi qu’une opinion surfaite de leurs propres capacités.
Enfin troisième point, la culture du narcissisme dégrade les relations sociales. Christopher Lasch souligne que l’individu moderne tend à dissimuler sa fragilité psychologique derrière une attitude de détachement cynique qui fait une grande place à l’humour. Si cette attitude le protège, elle le désengage cependant des relations sociales en faisant croître en lui son sentiment d’inauthenticité. Or, l’art et la religion déclinant ne permettent plus de résoudre ce malaise intérieur. Celui-ci se décèle tout particulièrement dans les relations entre les sexes. Valorisant la sexualité dans le présent, indépendamment de l’amour et de la fidélité, les partenaires fuient dorénavant devant l’incertitude et la complexité des sentiments. Seul le reflet de son moi dans l’attention que lui porte autrui, voire dans l’irradiation de sa célébrité apaise de manière éphémère son insécurité psychologique.
Malgré ses illusions sporadiques d’omnipotence, écrit Christopher Lasch, Narcisse a besoin des autres pour s’estimer lui-même ; il ne peut vivre sans un public qui l’admire. Son émancipation apparente des liens familiaux et des contraintes institutionnelles ne lui apporte pas, pour autant, la liberté d’être autonome et de se complaire dans son individualité.
Ouvrage majeur introduit en France par l'intermédiaire de Jean-Claude Michéa, La Culture du narcissisme me rappelle à bien des égards la pensée de Philippe Muray qui avait lui aussi dressé le portrait sidérant de l'homo festivus festivus dans son livre éponyme. Je recommande vivement pour tous les détracteurs de la modernité et ceux qui souhaitent un éclairage sur le (dys)fonctionnement de notre société.
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Créée
le 24 janv. 2018
Critique lue 459 fois
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