Henry David Thoreau, instituteur du Massachusetts, est très remonté contre l'esclavage et la guerre mexico-étasunienne, si bien qu'il décrète qu'il est insupportable de n'agir que par les moyens démocratiques à disposition. Il propose alors une alternative, la seule possible à l'homme "juste" et "sage" selon lui : ne plus payer ses impôts. Pour ceci, il sera emprisonné pendant un jour, puis libéré par la grâce d'un bienfaiteur. Il écrit ce pamphlet dans la foulée.
Une lecture laborieuse. Tout d'abord, je ne sais pas si c'est le fait de la traduction mais Thoreau semble également appliquer sa rébellion à la syntaxe, au style et à la structure de texte.
Sur le fond ensuite...
Un des grands axes de ce petit livre est la critique de la démocratie telle qu'entendue à nos époques, à savoir la tyrannie de la majorité sur la minorité. Ne pouvant faire confiance au peuple, il demande à ce que chaque "vrai homme", à savoir chaque homme de principes, ne s'en remette pas à un geste noyé dans la masse pour défendre sa conception de la justice : une problématique qui reste très actuelle, celle de l'engagement citoyen qui va au-delà du vote. Thoreau réhabilite même cette minorité de "sages" en tant que composante essentielle de la société que le gouvernement devrait non pas pourchasser mais chérir.
(L'esclavage et la guerre ne sont pas ses seuls chevaux de bataille. Plus tôt dans sa vie, il a refusé une sorte d'impôt religieux : laïque, il ne reconnaissait pas l’Église comme sienne.)
Thoreau oppose donc à la démocratie l'idée de justice et de conscience. Ce qui pose naturellement un problème : s'il est légitime pour chaque individu d'agir selon sa bonne conscience, comment dès lors définir qui a raison lorsque les consciences s'entrechoquent ? Pas par la loi en tout cas, puisqu'elle est censée s'effacer devant le droit légitime. Ce qui est frappant, c'est qu'à aucun moment Thoreau ne semble se rendre compte du paradigme de pensée contingent qui l'enveloppe comme tout un chacun, comme si, par exemple et en l'occurrence, l'égalité et la liberté de tous les individus était un principe universel hors du temps et de l'espace. Entendons-nous bien : je souscris pleinement à ce principe, mais la rhétorique de Thoreau ne lui fait pas honneur. Il parle de "bien absolu" et de "justice", sans élaborer ces signifiants. Ainsi donc, son argumentaire se retourne contre lui face à un absolutiste de l'esclavage, par exemple.
De plus, la désobéissance civile selon Thoreau, dans ce contexte en tout cas, consiste à ne plus payer d'impôts. Quid alors de bénéficier des infrastructures étatiques qui sont payées avec ces impôts ? Eh bien il expédie la question en quelques lignes en statuant que 1) il ne refuse pas de payer pour l'entretien des routes mais 2) il ne sélectionne pas les articles particuliers de la feuille d'impôt qu'il refuse de payer ; 3) il déclare la guerre à l'état et 4) il entend bien continuer à bénéficier de ses services, "c'est bien naturel". Et basta. Si quelqu'un voulait bien m'éclairer sur la logique du truc...
Bref, un ouvrage fondateur fort bizarre, le désobéissant en moi est déçu et met donc une mauvaise note.