La duchesse de Langeais et La fille aux yeux d'or font partie d'un cycle lié au groupe des Treize, une société secrète de jeunes hommes qui semblent solidaires. On sent dans ces deux ouvrages le goût du feuilleton plutôt que de la cohérence, une ambition assez mineure, bref je ne les ai guère appréciés.
La duchelle de Langeais
Avril 1823. La France intervient à Cadix pour rétablir l'autorité de Ferdinant VII d'Espagne. Un général s'arrête dans ce qui semble être l'île de Majorque, visite le couvent des Carmélites. Durant l'office, les sonorités de l'orgue lui donnent le pressentiment qu'il connaît la soeur qui se cache sous ce voile. Il en a confirmation lorsqu'il obtient à grand-peine une entrevue. La soeur Thérèse n'est autre que la duchesse de Langeais, qu'il a cherché pendant 5 ans dans tous les couvents d'Europe !
Retour en arrière. Long développement sur le faubourg Saint-Germain, sa décadence, ses petitesses. Rencontre d'Antoinette de Langeais, mariée à un duc qui la délaisse complétement, femme vive mais qui n'a pas connu l'amour et s'en méfie, et Armand de Montriveau, général d'artillerie qui a mené une carrière brillante et mouvementée en Afrique, homme taciturne et fier. Elle décide, car il est à la mode, de se l'attacher, et en fait un parfait toutou, réduit à mendier des marques d'affection.
Déniaisé par M. de Ronquerolles, qui lui montre à quel point il est ridicule, il finit par ne plus y tenir, vient la voir alors qu'elle s'habille, si bien qu'elle le renvoie. Mais elle souffre d'être privée de sa compagnie. Ils se revoient pour un bal, où il a un sourire mauvais. A la sortie, elle se fait enlever par trois hommes masqués qui l'amène à l'appartement du jeune homme, qui veut marquer la coquette au front avec un fer rouge, puis se laisse attendrir. Elle devient passionnée, mais lui disparaît. Elle commet l'imprudence de laisser sa voiture avec son valet toute une journée devant son appartement, ce qui provoque un scandale parisien et une réunion d'urgence de la famille. Elle entre par effraction chez lui et voit que toutes les lettres désespérées qu'elle lui envoie sont laissées cachetées. Elle désespère, et envoie un ultimatum : si à 8 h, il ne la rejoint pas, elle disparaîtra. Par malheur, il est de sortie chez des gens qui ont une pendule qui retarde.
Dénouement : une goélette mouille au large de Majorque, on pense que ce sont des plongeurs cherchant un trésor. C'est une mystérieuse équipée des Treize qui délivrent la bonne soeur à l'aide d'un plan compliqué (un escalier de grappins dans la falaise). Mais quand ils arrivent, elle est morte.
Un roman d'amour malheureux, dont beaucoup d'ingrédients rappelleront ceux d'un Stendhal, mais qui permet en creux de comprendre les qualités de l'auteur des Chroniques italiennes, notamment sa manière de parfaitement saisir la passion en action. J'avoue que l'introduction de R. Fortassier, bien documentée, m'a quelque peu déflorée le livre : Balzac se serait inspiré d'une déception amoureuse auprès de Mme de Castries pour le personnage d'Antoinette, ce qui fait du personnage d'Armand (dont j'ai dû aller rechercher le nom tant il m'a peu marqué) une Mary-Sue.
La fille aux yeux d'or.
La fille aux yeux d'or est également une histoire d'amour qui finit mal. Le livre commence par un tableau célèbre de la population parisienne, qui a été étudié dans Classes laborieuses, classes dangereuses. Le héros, Henri de Marsay, tombe amoureux d'une jeune femme aux yeux fascinants, mais toujours suivie d'une duègne, qu'il a rencontrée au jardin des Tuileries. Il engage un valet pour la suivre, se renseigne auprès du facteur : l'hôtel particulier de la jeune fille, Paquita Valdes, est une vraie forteresse.
Il parvient à établir un contact en glissant dans une lettre qu'elle reçoit un billet lui annonçant comment récupérer un flacon de drogue pour tromper sa duègne. La jeune femme, aidée par son fidèle serviteur mulâtre, finit par arranger un rendez-vous où Henri se rend en montant dans un fiacre les yeux bandés. Les deux tourtereaux s'aiment, mais Henri comprend qu'elle craint quelqu'un qui la retient prisonnière. Le roman sera très discret là-dessus (en première lecture, je n'avais pas bien compris), mais c'est la marquise de San-Réal qui l'aime d'un amour saphique et exclusif. De Marsay tente avec Ferragus et de Ronquerolles, deux des Treize, une expédition de libération, mais il trouve Paquita morte. Il monte, et découvre que sa rivale est en fait... sa demi-soeur.
Ambiance un peu à la Eugène Sue, avec ces fiacres mystérieux, ces couloirs désaffectés que l'on suit pour un rendez-vous mystérieux. La nouvelle a surtout de l'intérêt car elle nous montre la jeunesse mouvementée d'un futur grand cynique de la Comédie Humaine, le modèle de Rastignac (après Vautrin, bien sûr). N'étant pas particulièrement sensible à ce type de fantastique, j'ai lu l'histoire d'un oeil assez distrait.
Ces petites oeuvres ont au fond moins d'unité interne que les grands romans, et aguichent surtout en utilisant un décorum fantastique qui a vieilli. Je ne dis pas que Balzac est mauvais novelliste, loin de là : Adieu m'avait fait très forte impression. Mais un tel bourreau de travail ne pouvait pas pondre à chaque fois un chef d'oeuvre...