Le naturel est miraculeux.
« La faim du tigre » c’est l’exaltation du gosse enfoui en Barjavel qui s’esbaudit sur les merveilles de la vie dans un déploiement pseudo-philosophique d’un inventaire à la fois ludique et fourni.
Ici, le René nous assaille de ses interrogations métaphysiques parfois loufdingues mais franchement plaisantes :
Les déterminants de l’espèce qui poussent l’Homme à vivre comme un Homme, l’incroyable précision des mécanismes du vivant qui font que jamais un bichon maltais n’enfantera une laitue, la limitation imposée par nos sens, les mystères du grand ou du petit infini et notre irrémédiable petitesse qui ne ternit pas notre joliesse…
Barjavel joue à remuer fougueusement ces pensées avec lesquelles, peu ou prou, tout un chacun s’est un jour étourdi, renouant de facto avec le niveau zéro de la philosophie : l’étonnement.
On s’étonne notamment de l’extraordinaire évènement qu’est l’apparition de l’homme sur un maillon de la chaine causale qui s’obstine à créer sa création depuis la singularité initiale…
M.René prend parti avec une sincérité touchante, en substance : point de bootstrap nous dit-il, il nous faut un alpha pour aller vers un oméga et par ailleurs comment croire au hasard ?
Un singe –accessoirement immortel – placé devant une machine à écrire et tapant une infinité de combinaisons de lettres n’écrira jamais la Bible !
Voilà le genre de jeu d’esprit que recèle « La faim du tigre »…Le singe écrira-t-il la Bible ?
L’homme apparait-il spontanément because la trajectoire de la vie, les chocs erratiques, les échanges d’énergie, pour peu qu’on leur laisse le temps, ne pouvaient pas ne pas créer Sapiens Sapiens?
L’éternel retour des occurrences ne compense-t-il pas cette improbabilité qui confine, pratiquement, à l'impossibilité ? Faut-il vraiment introduire Dieu ou un quelconque principe créateur comme semble le suggérer Barjavel ? Qui peut répondre…
Et puis d'ailleurs, dans ce livre, ce n'est pas tant la réponse de Barjavel qui prime mais la dialectique qu'il propose au lecteur par l’inévitable résonance entre les questionnements respectifs…On en sort avec des étoiles dans les yeux et ce goût ravivé pour les choses de la vie. C’est ça le truc : « La faim du tigre » c’est un texte pro-gustatif !
L’ensemble se présente sous la forme de petits « billets », traitant de sujets variés, qui se suivent et s’articulent autour de cet axe central que constitue La Grande Question sur la vie, l’univers et le reste.
Évidemment trop emporté, Barjavel voit son entreprise s’étirer et s’étioler tandis que les pages défilent dans une farandole de spéculations qui peut, à la longue et malheureusement, s’avérer lassante quand on n’adhère pas totalement à ses propos.
C’est pourquoi, au sujet de la vie et de tout l’bastringue cosmique, je me sens plus attiré par une approche façon Hubert Reeves : présentation calme de faits et invitation à la contemplation.
Barjavel c’est pour la récréation et c’est cool aussi parce que ça détend d'enrober la science de poésie; ainsi, chez Barjavel, les fameux 99% de vide dans l'espace subatomique ça donne : "Un dé à coudre rempli de tourbillons de rien: c'est l'humanité".
C’est beau !
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.