"Tout son corps était expressif comme un visage"
Elle s'appelait Concha Perez : la rondeur merveilleuse de l'enfance contenue tout entière dans son prénom "la coquille", de ses cheveux sombres enroulés en coques lisses sur sa nuque à ses joues douces et pleines, à la forme ronde de ses jambes : Aphrodite, jeune déesse affolante et charnelle émergeant de sa conque.
Je ne peux résister au plaisir de citer l'un des passages du livre décrivant merveilleusement cette jeune beauté fatale telle qu'elle apparut aux yeux de l'homme fasciné :



On sentait que même en lui voilant le visage on pouvait deviner sa pensée et qu'elle souriait avec les jambes comme elle parlait avec le torse.
Seules les femmes que les longs hivers du Nord n'immobilisent pas près du feu, ont cette grâce et cette liberté. -
Ses cheveux n'étaient que châtain foncé ; mais à distance, ils brillaient presque noirs en recouvrant la nuque de leur conque épaisse.
Ses joues, d'une extrême douceur de contour semblaient poudrées de cette fleur délicate qui embrume la peau des créoles.
Le mince bord de ses paupières était naturellement sombre.



Pour André l'homme en quête de sensations, grand chasseur devant l'éternel, ce fut une découverte éblouie, l'envie irrésistible et impérieuse de revoir cette enfant-femme ingénue et superbe aperçue durant le carnaval de Séville, de croiser une fois encore derrière l'éventail déployé, ce regard de feu brûlant d'une insolente ardeur qui m'a rappelé Une Passante de Baudelaire :


"buvant, crispé comme un extravagant, dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan la douceur qui fascine et le plaisir qui tue"


lui adressant le message suprême, "Quiero", le mot doux qui précédé de "te" contient en lui toutes les promesses d'amour : je te veux, je te désire, je t'aime, je t'adore, inscrit sur une coquille vide devenue projectile inoffensif en cette période de fête, prémices d'une rencontre où la belle est souveraine.


L'écriture de Louÿs à la fois simple, précise et d'une sublime élégance retranscrit à la perfection ces mouvements de la passion naissante, cet "innamoramento" chez André le narrateur, ceux de la passion profondément enracinée chez Mateo son ami qui cherche d'abord à le mettre en garde, subjugué qu'il est encore par cette folle enfant connue trois ans auparavant, traumatisé par ses avances, ses rebuffades, ses refus, ses dérobades, ses caprices et ses exigences , lui, cet homme pleinement adulte de 37ans, réduit par la grâce d'un être fascinant mi-ange mi-démon tour à tour innocent et manipulateur à n'être qu'un jouet désarticulé entre ses mains.


Une oeuvre lue, que dis-je, dévorée à l'adolescence et dans laquelle sans hiatus d'aucune sorte je me suis replongée avec le même plaisir, la même délectation, un univers évocateur d'une époque révolue mais qui, de façon intemporelle, au travers de cette folle passion amoureuse célèbre les femmes et surtout La Femme de toute éternité , le pouvoir absolu et maléfique de sa beauté, le feu qu'elle allume, consciemment ou non dans le coeur des hommes, le malheur et les tourments qu'elle peut engendrer, ces tortures du corps et de l'âme, délicieux mais terribles que l'homme consumé d'amour, esclave consentant réduit à sa merci, pantin sans volonté, garde à jamais, gravés dans son coeur et imprimés dans sa chair telle une marque au fer rouge.


Une oeuvre qui se lit d'une traite, courte mais intense, un bel éclairage sur la vie, pour moi le chef-d'oeuvre de Louÿs.

Créée

le 15 mars 2012

Modifiée

le 7 août 2012

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Aurea

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