La narratrice est employée comme aide-ménagère par une société qui loue ses services. Elle vit seule avec son fils qui va bientôt fêter ses onze ans. Le père n’a semble-t-il pas assumé ses responsabilités. La narratrice a de ses nouvelles par un titre d’article dans un journal révélant qu’il a reçu un prix pour ses recherches scientifiques. Elle-même est invitée à s’occuper des tâches ménagères chez un mathématicien solitaire de 75 ans qui est malheureusement handicapé par une mémoire défaillante depuis de nombreuses années. A la suite d’un accident, son cerveau a subi des dégâts irréversibles et il doit se débrouiller avec une mémoire immédiate de 80 minutes.
De ce fait, à chaque fois que la narratrice arrive chez lui, elle doit rappeler qui elle est au vieil homme. Bien organisé, celui-ci a des papiers épinglés sur ses vêtements pour lui servir d’aide-mémoire. Quant à la narratrice elle fait preuve d’une patience infinie. Compréhensive, elle se met en quatre pour faciliter la vie au professeur qui en a découragé une dizaine avant elle. Elle sait si bien y faire qu’elle obtient l’autorisation exceptionnelle de faire venir son fils sur son lieu de travail. Celui-ci ayant des devoirs, le professeur propose son aide !

Instinctivement, le professeur éprouve un sentiment protecteur vis-à-vis de ce garçon qu’il accueille à sa façon en lui disant que la forme légèrement aplatie de son crâne lui rappelle le symbole de la racine carrée. Du coup, il le surnomme Root (racine en anglais) et l’éclaire de ses connaissances.

Très pédagogue, le professeur lui explique la beauté des nombres et des mathématiques. Cela va des nombres premiers à la résolution de problèmes plus ou moins simples en passant, entre autres, par les nombres parfaits.
Parenthèse indispensable pour un public non averti : ce roman comprend de véritables notions mathématiques (d’ailleurs illustrées) qui permettent de suivre les raisonnements du professeur. Exemple de problème présenté : comment faire l’addition des nombres entiers jusque 10 (de 1 à 10) ? Il suffit de poser l’opération me direz vous. Oui, mais si on pousse le vice (parce que je ne vois pas d’autre terme, hein…) à poser la question pour les nombres entiers jusque 100 voire 1 000 ou 1 000 000 ? Même en utilisant une calculette, les risques d’erreur augmentent de façon vertigineuse. C’est là que le professeur intervient pour montrer la beauté (et là encore le terme est adapté !) d’un raisonnement qui permet de résoudre le problème avec simplicité et élégance. Il suffit de remarquer qu’en additionnant le plus petit et le plus grand des nombres, on obtient un résultat qui sera rigoureusement identique avec leurs voisins immédiats et ainsi de suite. Vous suivez ? Non ?

10 + 1 = 9 + 2 = 8 + 3 = 7 + 4 = 6 + 5 = 11

Le résultat cherché est donc 11 x 5 = 55. Ce principe peut être généralisé, simplifiant considérablement un problème apparemment compliqué !

Quel intérêt me direz-vous ? Aucun pour le commun des mortels… Mais Yoko Ogawa a le culot de montrer qu’on peut faire de la vraie littérature en abordant un sujet pas franchement vendeur (les mathématiques) tout en profitant de l’occasion pour évoquer d’autres thèmes comme le vieillissement et la dégénérescence, les relations familiales ainsi que des préoccupations du quotidien comme la passion pour le baseball ou les préparatifs d’un anniversaire. Au passage le lecteur en apprend pas mal sur la vie au Japon, ce qui n’est pas négligeable.

Réflexion d’une grande profondeur d’un mathématicien dont le professeur a oublié le nom (Einstein ?) « Dieu existe. Parce qu’il n’y a pas de contradiction dans les mathématiques. Et le Diable existe également. Parce qu’on ne peut pas le démontrer. »

Ce qui m’a laissé perplexe, c’est que le professeur continue d’avancer dans ses travaux mathématiques élaborés malgré sa mémoire défaillante. Et puis j’ai trouvé l’aspect purement mathématique un peu envahissant, à l’image des élucubrations du vieil homme qui fait des réflexions savantes dès qu’il observe des nombres dans la vie de tous les jours (exemple : des numéros de places dans un stade lors d’un match de baseball). C’est bien la pédagogie, mais gare aux allergies !

Enfin, Yoko Ogawa a des fulgurances d’une grande poésie. Exemple avec cet extrait :
« Frappée par la batte, la balle s’éleva en décrivant une gracieuse parabole. Comme celles tracées dans les cahiers universitaires du professeur. La balle, plus blanche que la Lune, plus belle que les étoiles, se découpa sur l’outremer de la voûte céleste. Tout le monde, fasciné, leva les yeux vers ce point. »
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le 16 mai 2013

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