<On enseignait à ces jeunes gens que l’Église n'avait jamais été rien d'autre qu'un instrument d'oppression, et que le but et la tâche des prêtres, c'était de nouer sur les yeux du peuple le noir bandeau de l'ignorance, tout en lui chantant des fables, infernales ou paradisiaques.
La mauvaise foi des "curés" était d'ailleurs prouvée par l'usage du latin, langue mystérieuse, et qui avait, pour les fidèles ignorants, la vertu perfide des formules magiques.
La papauté était dignement représentée par les deux Borgia, et les rois n'étaient pas mieux traités que les papes : ces tyrans libidineux ne s'occupaient guère que de leurs concubines quand ils ne jouaient pas au bilboquet ; pendant ce temps, leurs "suppôts" percevaient des impôts écrasants, qui atteignaient jusqu'à dix pour cent (sic) des revenus de la nation.
C'est-à-dire que les cours d'histoire étaient élégamment truqués dans le sens de la vérité républicaine.
Je n'en fais pas grief à la République : tous les manuels d'histoire du monde n'ont jamais été que des livrets de propagande au service des gouvernements.
Les normaliens frais émoulus étaient donc persuadés que la grande révolution avait été une époque idyllique, l'âge d'or de la générosité, et de la fraternité poussée jusqu'à la tendresse : en somme, une explosion de bonté.
Je ne sais pas comment on avait pu leur exposer – sans attirer leur attention – que ces anges laïques, après vingt mille assassinats suivis de vol, s'étaient entre-guillotinés eux-mêmes.
[…] Cependant, les études de ces normaliens ne se bornaient pas à l'anticléricalisme, et à l'histoire laïcisée. Il y avait un troisième ennemi du peuple, et qui n'était point dans le passé : c'était l'Alcool.
A la vue d'un verre de vin, ils faisaient une moue de dégoût. La terrasse des cafés, à l'heure de l'apéritif, leur paraissait une sorte de cimetière de suicidés. [...] Mais ce qu'ils haïssaient le plus farouchement, c'étaient les liqueurs dites "digestives", les Bénédictines et les Chartreuses, "avec privilège du Roy", qui réunissaient, dans une trinité atroce, l'Eglise, l'Alcool et la Royauté.>>
Marcel Pagnol.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.