Lorsque j'avais établi ma critique du film éponyme de Jean-Jacques Annaud, j'avais déjà parlé du roman à partir duquel avait été tiré le scénario.
Jean-Jacques Annaud avait, assez génialement, il faut le dire, remplacé le langage articulé du roman préhistorique de JH Rosny Aîné par des grognements beaucoup plus primaires. Ce qui était plus facile au cinéma du fait que l'image ou les mimiques des acteurs pouvaient suppléer.
Le sujet du roman, c'est la quête pour la domestication du feu. On ne sait pas grand-chose de cette quête sinon qu'elle dut forcément être un problème majeur. Rosny situe l'épisode vers -100 000 mais les recherches sembleraient montrer que la domestication du feu pourrait remonter beaucoup plus tôt vers -400 000.
Ce que Rosny montre, et que reprendra Annaud, c'est que le feu capté à l'occasion de coups de foudre ou d'autres manifestations fortuites, devait être stocké dans des boites sous la forme d'un tison dont il fallait maintenir en permanence le rougeoiement. Un coup de mauvaise pluie, une maladresse du gardien du feu et c'était terminé. Bien sûr, Rosny, en bon romancier, présente ça comme une évidence. Mais à la lecture du roman, je ne peux m'empêcher d'être fasciné par cette problématique : d'abord, il dut y avoir un jour où l'homme dut imaginer ou penser que le feu, issu de la foudre, pouvait être plus utile qu'à créer des catastrophes naturelles comme brûler des forêts. Puis, après avoir découvert les vertus du feu, comment le rendre pérenne à défaut de pouvoir le reproduire. Et tout ça sur des périodes de plusieurs centaines de milliers d'années. Je trouve ça réellement vertigineux.
Bien sûr le roman fera un raccourci pour passer de la conservation du feu à la reproduction. Ce que reprendra aussi Annaud, pas tout-à-fait de la même manière mais ça ne change pas le propos …
Le roman de Rosny, à l'instar de ses autres romans préhistoriques ("le félin géant", "Vamireh", "Eyrimah", etc …), inscrit cette "guerre du feu" dans un environnement hostile où l'homme n'est qu'une petite créature qui doit faire face à toutes sortes d'animaux du lion au loup, de l'aurochs au mammouth. Seule sa ruse (ou sa faculté de raisonnement, c'est selon) lui permet de compenser sa petite taille et sa faiblesse.
Un autre point ne cesse de m'interpeller car, en fait, relève de questions pour lesquelles je ne sais pas trop quoi penser. Et le point de vue de Rosny diffère fondamentalement de celui d'Auel dans "les enfants de la Terre".
Il s'agit des contacts entre tribus ou hordes qui cohabitent sur la Terre. Chez Rosny, il y a méfiance voire hostilité systématique sinon carrément guerre. Chez Auel (on est, plus tard, aux alentours de -15 000), les tribus sont plutôt pacifiques et rechercheraient les contacts dans un but de progrès et d'échanges.
Sachant que la Terre n'est pas très peuplée à cette époque, cette réflexion me semble intéressante car appelle à penser à la nature profonde de l'homme et de sa réaction face à l'autre. Sachant que l'Histoire moderne n'est faite que de guerres et de conquêtes dans une période infiniment plus courte de quelques milliers d'années seulement … Sans qu'on ait bien évidemment le moindre début de preuve ce qui rend la réflexion excitante. Et vaine.
De mon point de vue, "la guerre du feu" est le roman le plus intéressant de JH Rosny Aîné à cause de ses diverses dimensions abordées ou problématiques suggérées.
Et puis, le style toujours fleuri, toujours lyrique, toujours épique de Rosny nous invite en 1910 ! dans un formidable bond en arrière où le merveilleux côtoie toujours le tragique et le fantastique. Comme l'alliance de l'homme avec les mammouths contre les affreux dévoreurs d'hommes.