Je crois qu'il est difficile de glorifier ce livre comme il se doit. Les mots suffisent-ils à décrire ce chef d'oeuvre ? Pas les miens, je l'admets. Dès la première page, quand le premier paragraphe apparaît, comme amené par ce vent indicible, j'ai été happé par ce récit. Rien ne pouvait m'arrêter, ni le nombre d'apparence trop élevé des personnages, ni les descriptions abstrus de prime abord.
Il est évident que la principale qualité du livre est le style d'écriture. Par où commencer ? Tout d'abord, je pense que de mes lectures récentes, voire de toutes mes lectures, c'est peut-être le meilleur style qu'il m'ait été donné de lire. La quatrième couverture ne mentait pas : chaque mot fuse et s'imprègne dans l'esprit. C'est là qu'on voit la beauté de notre langue : toutes ses phrases que nous sommes capables de construire avec un vocabulaire très large. Or, Alain Damasio la manie avec une maîtrise indubitable. Cela a beau être exigeant à cause des mots compliqués (mais compréhensibles grâce au contexte), je n'en suis que plus épaté. Tout son propos s'extériorise à merveille, fruit d'un travail opiniâtre. Je rajoute aussi que le vocabulaire employé est très scientifique. Ce fameux vent, qui nous berce durant toute la lecture, est décrit à la perfection. De plus, le récit est loin d'être formaté, l'auteur utilise la ponctuation avec brio et ose ne pas sortir des phrases entières et parler par symboles, comme ceux qui représentent les personnages.
Nous suivons une Horde de 23 personnages. Bien entendu, tous n'ont pas traitement égal, et pourtant, malgré le changement rapide de points de vue, ils sont traités sur un pied d'égalité. Qu'ils nous content les récits par demi-page ou plusieurs pages avant de céder la place à un autre personnage, ils deviennent vite attachants. Chacun a son utilité, chacun marque le récit de sa présence. Très vite, j'ai apprécié les pleurnicheries de Callirhoé, le talent de Sov, l'intelligence d'Oroshi, la curiosité de Coriolis, l'empathie d'Alme, l'innocence d'Alme, la détermination de Caracole, le courage d'Erg. Je n'ai même pas détesté Golgoth, catégorie de personnage que je déteste d'ordinaire, à cause de son antipathie et sa misogynie, entre autres. Mais chaque personne narre leur histoire, l'interminable quête de la Horde, d'une manière unique. Ainsi, le scribe manie la plume comme un grand écrivain, Oroshi se révèle plus sensible dans ses propos et Golgoth nous parle avec une "vulgarité noble" tellement crue qu'elle en devient sublime. Par passage du passé au présent, du registre soutenu ou familier, ce texte s'inscrit comme étant de la pure littérature : celle qui évolue en fonction de sa large gamme de personnages, celle qui est libre comme l'air, portée par le vif, pas un mot n'est laissé au hasard. À chaque péripétie, l'auteur nous dévoile sa plume de maître.
Le scénario laissait entendre que les personnages allaient mourir les uns après les autres et c'est ce qu'il se passe, hélas, pour (presque) chaque personnage. Cela m'a ému, même ceux qui étaient moins développés. Cruel destin pour eux que de mourir alors qu'à chaque fois leurs camarades étaient si proches de les sauver.
L'histoire se déroule dans un univers riche, original et excellemment développé. On aurait pu s'attendre à ce qu'il ne soit pas bien exploité, vu que nous ne suivons qu'un groupe de personnages. Pourtant, nous traversons des cités fascinantes, des villages ancrés dans la nature et des paysages à couper le souffle. L'idée qu'une succession de Horde cherche l'Extrême-Amont, l'origine du vent, l'origine du monde, rend le tout très prenant.
Pour moi, ce livre est parfait sur tous les points : intrigue, univers, personnages, style d'écriture, c'est de la vraie littérature, qui nous happe du premier jusqu'au dernier mot, qui impressionne. De la Horde du Contrevent, j'en ressors presque changé.