"Une jument verte? Ce doit être aussi rare qu'un ministre vertueux."
Au vu du titre et du résumé on pourrait s'attendre à une histoire surnaturelle, un récit surréaliste, mais cela serait bien mal connaître Marcel Aymé. En fait, ce livre aurait pu s'appeler "Etude des mœurs sexuelles de la population rurale de la fin du 19ème siècle".
Si si, je vous jure. Si jument, je vais en enfer... Bref.
Pourtant rien n'est plus vrai qu'un jour chez un maquignon jurassien naquit une jument verte. Elle fit la renommée de son propriétaire, Jules Haudouin, attisa la curiosité de tous les habitants du petit village de Claquebue dans lequel, il faut bien l'avouer, il ne se passait pas grand chose (le temps s'écoulant si lentement que les vieux ne mourraient même plus) et y attira jusqu'à l'empereur qui s'en serait mordu les doigts de ne pas voir de ses propres yeux pareil prodige.
Mais cette jument couleur de jade devient vite un observateur, un narrateur dans ses "commentaires de la jument", elle qui ne subsiste plus qu'en deux dimensions dans un tableau affiché dans la maison de famille. Et dans cette condition où elle est réduite, ne pouvant bien sur plus assouvir ses envies et pulsions "animales" dirons-nous, il ne lui reste plus qu'à étudier celles des autres, en particulier celles des deux fils Haudouin, Honoré et Ferdinand, aux caractères et aux mœurs diamétralement opposés.
Comme dans La Vouivre, ce qui fait tout l'intérêt de ce roman, c'est l'acuité avec laquelle Marcel Aymé met à jour les traits de caractère, les travers de ces gens du Jura (et de la campagne en général) sans jamais se départir d'une ironie certaine, d'un humour sarcastique. Le fil rouge de cette histoire est une lettre. Lettre que les Haudouin se seraient faite voler par leurs voisins, ennemis de toujours, les Maloret et dans laquelle un scabreux secret de famille est dévoilé. Mais sont-ce vraiment les Maloret qui détiennent cette missive ? Rien n'est moins sur.
Encore une fois, Marcel Aymé n'épargne personne mais le fait avec une certaine tendresse.
Ni les républicains qui renient l'église haut et fort en public mais qui le soir dans leur lit, ne peuvent s'empêcher de songer au péché que cela représente de besogner leur chère étendue et à ce qu'il leur en coûtera pour leur billet d'entrée au paradis.
Ni les réactionnaires dévots voir bigots, se rendant à confesse et à la messe comme vous à la boulangerie, qui une fois à l'abri des regards indiscrets se livrent à bien des dégueulasseries mais, du moment que l'on s'en repent, tout va bien hein.
Bien sur, comme dans tout bon village qui se respecte, tout le monde est au courant de tout mais personne n'en parle, car comme il est dit dans le livre, où va-t-on si l'on ne peut plus pécher sans en être accusé publiquement ?!
Un ouvrage qui en son époque a du en surprendre plus d'un et causer un certain remue-ménage et dans les esprits, et dans les caleçons.