Je vais immédiatement évacuer la question qui avait fait polémique à la sortie : est-ce que ce livre romantise trop la prostitution. Ma réponse : on s'en fout. Je ne suis ni pour ni contre l'abolition de la prostitution, je ne suis pas assez renseignée sur le sujet, j'ai entendu des avis des deux côtés très convaincants et la vérité, c'est que je n'ai aucune (mais aucune) opinion là-dessus, je ne suis pas qualifiée pour parler à leur place. Et c'est là où ça me fait grincer des dents : accuser ce livre de vendre une image d'Epinal de la prostitution, c'est faire taire une femme, et son ressenti. Emma Becker a vécu les choses de cette manière (loin de donner envie, ce qui est tout de même un comble quand on lit certaines critiques).
La question qu'il nous reste à nous, lecteurs ? La littérature ! Est-ce que La Maison est un bon livre ? Oui, six fois oui ! Il y a un amour de ces femmes, et des lieux qui ne peut qu'être communicative. La forme est délicieusement digressive. Passé, présent, futur se mélangent au gré des pensées de l'auteur, qui nous tient la main pour visiter ce bordel. On voit ce qui peut se faire de mieux, et de pire, on voit la bestialité, la tendresse aussi. Et surtout la vie. La langue ? Aussi belle que l'exige le sujet. C'est quand elle furète dans les jupons qu'elle excelle. Parfois mordante, souvent caressante, toujours pleine d'amour et de compréhension. On sent le recul de l'écrivain, qui se protège de son statut comme d'une carapace (et depuis que j'écris, combien de fois je me suis rassurée devant une situation déplaisante (« matière à écrire »). C'est donc aussi une réflexion sur l'écriture, sur ce qu'on est prêt à sacrifier (si c'en est un, ce dont je doute après lecture).
Loin des clichés (et finalement des vraies images d'Epinal de la prostitution), elle nous prouve, nous démontre, que ces filles, ça pourrait être n'importe qui. Nous interroger, nous faire douter, nous faire vivre un monde inaccessible où chaque geste, chaque odeur se dessine devant nous, c'est déjà bien. Mais rendre hommage à ces femmes avec la gourmandise d'un Maupassant (Zola aussi est cité, me faisant penser à son effroi devant la Femme, la Nana impériale qui flambe beauté et argent, coup de tête sur coup de tête, angoisse de la castration dirait Freud, mais cela ne nous regarde pas (fermeture de la digression dans la digression), dans une société ou le sexe transpire sans laisser d'odeur, chapeau !