La Maison noire est un roman noir japonais de la fin des années 90, édité assez récemment chez nous pour surfer sur le relatif succès de l'exécrable Leçon du mal du même auteur, qui s'étalait complaisamment sur la commission de meurtres et de viols d'un professeur maléfique sur ses élèves. Ici, on suit plus conventionnellement le gentil de son histoire, Wakatsuki, agent d'assurances, qui doit enquêter sur la mort suspecte de l'enfant sous le coup d'une assurance-vie d'un apparent couple démoniaque, puisque la police la plus nulle du monde manifestement n'aura pas une seule fois envie dans le roman de se sortir les doigts sans qu'on détermine bien pourquoi.
Je tiens ce roman pour une (relative) merde sur deux plans différents. En tant que thriller ou roman noir, d'une part, il a tendance à cumuler beaucoup des tares habituelles à un genre qui n'est abordé sans aucune prise de recul, et qui devraient être maintenant connues et combattues : improbabilité des compétences et des réactions d'un personnage ordinaire transfiguré en héros d'une intrigue incroyable, utilisation sensationnaliste de la violence qui ne saurait convaincre, emploi balourd « d'indices » trop exhibés qui font deviner littéralement cent pages avant le seul « retournement » de situation du roman etc. Prise en tant qu'enquête, cette Maison noire a bien du mal à justifier ses trois cent pages et absolument rien dans ce qu'elle esquisse ne sera propice à stimuler l'habitué du genre ; pas même la profession du héros qui était déjà une astuce largement convoqué dans le noir américain des années 50.
Plus gênant à mon sens, la Maison de Yûsuke Kishi est un de ces noirs dont l'ambition est assez clairement de peindre la société de façon anxiogène et réactionnaire. La thèse qui se dégage du roman, se donnant un peu pompeusement pour prétention de discuter sans munition du caractère inné du mal, se résume à supposer que l'accroissement du confort matériel capitaliste ne déclenchera qu'un accroissement des appétits de prédation des individus, qui seront prêts à repousser constamment les limites de la barbarie pour jouir plus fort, plus longtemps, de ce qui est prélevable chez leurs prochains. On a guère affaire ici à beaucoup mieux que ce que proposait un mauvais darwinisme social du XIX, tendance rappelée par la propension du personnage à juger des êtres comme des insectes qu'il range en taxinomie des espèces.
Quand on est ado ça a l'air super cool de penser que le monde est rempli d'animaux humains dangereux qui veulent nous dépouiller en nous coupant les bras à la scie rouillée ; quand on vieillit un peu, c'est intéressant de se demander à quoi servent ces discours politiquement. C'est intéressant de se demander comment une colossale merde comme Obertone peut faire des allers-retours si naturels entre la compilation de faits divers, le même genre littéraire et de la prescription politique fascisante. C'est intéressant de se demander pourquoi Europe 1 et cie investissent sur de la saloperie comme Hondelatte raconte. C'est intéressant de se demander pourquoi le noir et le true crime promeuvent une vision de l'homme particulière.