Traiter de la grande Histoire en évoquant uniquement la petite. Sujet lourd et livre délicieux. De la bataille de Solferino de 1859 à l’assassinat de François-Ferdinand en 1914, on suit 3 générations de Trotta, famille de paysans slovènes dont le grand-père se retrouve Héros de l’Empire, Chevalier de sainte Thérèse après avoir sauvé l’Empereur François-Joseph à la bataille qui démarre le livre. Le destin bascule, sa vie est transformée, il se retrouve baron, son fils préfet et ces vies déracinées vont suivre leur cours, à mesure que le dernier Empereur et tout l'Empire avec eux vieillissent en les accompagnant vers la fin. Temps de déclin inéluctable qui flotte d’ailleurs souvent dans le livre et se rend de plus en plus présent à mesure des pages, mais temps de paix incontestable et donc de fêtes, de femmes, de jeu, d’honneur, et de tant d’autres choses.
La première partie du livre est délicieusement peuplée des générations un peu coinços de ce passé cosmopolite et de leurs contradictions. Roth écrit ce livre à une période où le destin des nations et des nationalismes est de se combattre et de s’écraser, laissant peu d’espoir aux peuples dont le sien des Juifs. Toute sa thèse veut que l’Empire apostolique, avec toutes ses faiblesses et ses contradictions, a tout de même été un terreau de la tolérance, une société multiculturelle impressionnante et regrettée. La fin du livre est plus triste comme les temps. Les Trotta vieillissent et s’éteignent, et le vieil Empereur avec eux. L’humour est toujours là mais on a plus vraiment le cœur à rire. Des scènes exceptionnelles (les favoris du préfet, la fête des dragons à la Barbier de Sibérie, la salle de jeux de la frontière, le bordel de W., les fêtes chez Chojnicki, les après-midi du préfet), un super livre.