Joseph Roth était un monarchiste. Pas l'un de ces spécimens que l'on rencontrait en France, derniers représentants d'une noblesse à l'agonie, qui se réfugiait dans le nationalisme.
Pour Roth, la monarchie était un symbole de l'union des peuples. Roth haïssait le nationalisme, en particulier le nationalisme allemand. Le communisme et le socialisme ne lui inspirait pas plus de sympathie.
Étrange personnage, qui se disait "apolitique" (c'est à dire au dessus des luttes de partie), mais qui affirmait ses convictions pro Habsbourg.
Au travers de l'histoire de la famille Trotta, dont le grand père sauve la vie de l'empereur François Joseph à la bataille de Solferino en 1859 ce qui lui vaudra d'être anobli, Roth décrit la montée du nationalisme, et le destin tragique d'une famille prise dans l'histoire. Je dis prise dans l'histoire car La Marche de Radetzky (que Roth surnommait "la Marseillaise des conservateurs") n'est pas à proprement parler un roman historique. L'agonie de l'Empire n'est pas raconté au travers de grands destins. Le fils du grand père Trotta est un préfet de province fonctionnaire sans histoire. Son père lui a dicté sa vie, et ce dernier s'en est accommodé, restant dans l'ombre du héros de Solferino, représenté par un portrait, détail obsédant qui reviendra à plusieurs reprises dans ce roman.
C'est autour du petit fils, Charles-Joseph, que se noue le roman. C'est ce dernier qui vit à l'aube de la Première guerre mondiale, qui est le dernier des Trotta. Le sauvetage héroïque des premières lignes fait écho aux dernières pages, juste avant l'épilogue : Charles-Joseph, après avoir démissionné de l'armée au lendemain de la mort du prince héritier dans les circonstances que l'on connaît, meurt, sans gloire, abattu par une balle perdue alors qu'il cherchait de l'eau pour ses hommes.
Les histoires individuelles de ce roman ne sont quasiment pas datés. Seul deux événements le sont bien que quelques indices soit dissimulés ça et là (l'âge de l'empereur dont le portrait en vieillard est décrit de façon touchante, sans apologie ni glorification) : la bataille de Solferino, et l'assassinat du prince héritier. Entre 1859 et 1914, il ne se passe aucune guerre, seulement le lent délitement de l'Empire des Habsbourg : les nationalismes s'affirment, le principe de la souveraineté héréditaire s'affaisse lentement. Au milieu de cette agonie il y a quelques prophètes : des personnages qui déclarent que l'Empire s'éteint, en même temps que l’empereur, c'est à dire, à petit feu.
Ce que Roth a voulu écrire à mon sens, c'est l'entrée de l'Histoire (avec sa grande hache comme disait Perec) dans les histoires individuels. Roth semble craindre l'Histoire, qui avance, inexorablement vers le délitement d'une société organisé autour de grandes figures, vers celui d'une société organisé autour de la nation.
Lorsqu'il écrit ce livre, en 1932, le NSDAP est aux portes du pouvoir. La Seconde Guerre Mondiale se révélera bien plus brutal et sanglante que tout ce que Roth avait put imaginer, depuis son Autriche natale.