Il s’agit bien du danger de mort, d’une mort qui cesse d’être perçue comme un concept, mais tout à coup et continuellement comme une présence aussi réelle que, par exemple, celle d’un frelon qui va bourdonnant tout autour de votre tête, s’éloigne un peu, revient, vous horripile la peau du frôlement de ses ailes et qui, d’un instant à l’autre, peut piquer, va piquer. Et, s’il pique…
N'ayant pas encore eu le courage de me plonger dans les plus de 900 pages de Ceux de 14, récit des souvenirs du front d'un jeune Maurice Genevoix, je me suis rabattu sur cet essai (trouvé dans les rayons d'un Emmaüs !), d'à peine 80 pages (se lisant très vite ; en moins de deux heures, c'est bouclé !), dans lequel un vieil Maurice Genevoix se remémore principalement trois épisodes précis de son expérience de combattant dans le Nord-Est de la France, près de Verdun, en 1914-1915.
Trois épisodes lors desquels, avec une chance insolente, tenant en toute franchise du miracle, la mort l'a nargué de très près, mais sans vouloir encore de lui, au contraire d'une grande partie de ses camarades d'infortune.
Ce qui étonne et ce qui est admirable, à travers cette œuvre, à travers cette Mort de près, c'est que l'écrivain octogénaire qui l'a rédigée, malgré les nombreuses décennies passées, malgré le poids de la vieillesse, décrit la moindre sensation, la moindre pensée, la moindre vision, le moindre lieu, le moindre compagnon, le moindre mort, la moindre silhouette, la moindre douleur, la moindre odeur, le moindre échange, avec une acuité et une précision dégageant l'impression que c'est comme si c'était hier, comme s'il n'y avait eu que quelques heures à s'être déroulées entre 1915 et 1972.
Même quand il évoque, au détour de deux-trois passages, l'inconséquence de la hiérarchie, avec leurs stratégies effroyablement meurtrières pour leurs propres hommes, leur insensibilité au sort de ces derniers, on sent la rage du sous-lieutenant Genevoix et non pas le recul de l'académicien. Même quand, lors de deux flashbacks, il aborde ses tout premiers contacts avec la mort, par le biais de deux récits de l'encore plus lointaine enfance, on ressent que c'est encore frais dans son esprit.
Et tout ceci est admirablement servi et renforcé par une plume lyrique, riche, prégnant et vivace (comme d'habitude chez l'auteur !), achevant de rendre vivant ce livre sur la mort.