à lire comme un essai philosophique
A tous ceux qui veulent en finir avec le bonheur et l'optimisme : courez acheter La nausée de Sartre ! Il y est dispensé toute une éducation impliquant les notions de désespoir, de sentiment d'inexistence et de mépris de l'autre. J'imagine que ce livre a engendré une vague de suicides intellectuels, tant le bouquin a le pouvoir de remettre l'existence en question, et surtout, la conscience "humaniste".
Antoine Roquentin, le protagoniste, hait les humanistes (terme générique englobant toutes les personnalités et actions visant au respect de la condition humaine) qu'il juge naïfs et conformistes. Il préfère les mépriser, car de toute façon, selon lui, ces gens ne connaissent pas "l'existence", n'"existent pas", au sens sartrien du terme. L'existence serait avant tout la conscience d'être un corps, composé de membres, un corps reposant sur la terre, et dont la réflexion peut être parasitée par ce sentiment même d'être un corps. D'où la "nausée", ce moment de dégoût profond de l'existence/ou du sentiment de non-existence, qui intervient quand la réalitéapparaît dans sa matérialité comme ensemble de corps : le bloc de feuilles devient un être surbrillant, la main se fait lourde, quasiment être à elle seule. En bref, le sentiment d'existence se confond avec celui de non-existence : quand existe-t-on, vraiment ?
Les autres personnages sont bien curieux...l'humaniste, qui se nomme L'Autodidacte, est un pédophile de bibliothèque. Anny, cette femme jadis éprise des "moments parfaits", "se survit", au moment de la narration. Les notables administrateurs de Bouville, eux aussi, ont-ils existé ? Le fait qu'ils soient immortalisés par le portrait fait-il d'eux des êtres qui ont existé ?
Finalement, le concept d'existence est au centre du bouquin, et la réflexion tourne en rond. Qu'est-ce qui est le mieux : être un imbécile mièvre (humaniste) et "inexistant", ou dépressif frustré et "existant" ? L'existence serait-elle le privilège d'une population dégoûtée par les autres, dégoût confinant le mépris ?
La Nausée est peut-être à lire comme un essai philosophique sur l'existence, biaisé par la fiction et la dangereuse auto-identification du lecteur qui s'ensuit. Si j'ai bien lu.
L'aspect positif du livre est son sujet, l'existence et tout ce qui l'entoure : la vie, la mélancolie, la raison de vivre, le tournoiement des pensées destructrices. Au moins, De plus, le style d'écriture, même indigeste vers la fin, reste agréable. Certaines petites remarques ou "piques" de l'auteur sont aussi truculentes, notamment sur la bourgeoisie de son époque.