Rien de plus difficile que de ne pas adhérer à un livre dont on aime l'auteur.
Allez savoir pourquoi je suis restée complètement en-dehors de ce roman de Gaëlle Josse dont pourtant j'ai révéré les trois précédents.
Allez comprendre les raisons qui font que je n'ai pas du tout été touchée par l'histoire d'Isabelle, Olivier et leur père, qui se retrouvent enfin pour crever les abcès d'une enfance compliquée auprès de cet homme irascible.
Secrets et non-dits, épisodes traumatiques que l'on tait, promesse d'omerta, dépression suite à vie qui bascule, envie de mourir pour avoir vu le pire, sentiment de vie ratée (sympa pour les enfants) : je savais Gaëlle Josse habituée des sujets pas vraiment légers (mère dans l'attente d'un fils parti en mer, photographe au talent fou jamais reconnu de son vivant, femme au bord de la crise de nerfs) mais là c'est peut-êtr un peu trop.
Alors est-ce ici un défaut de caractérisation des personnages, qui fait que je n'ai pas su m'y attacher ? La chimie d'une voix, d'un style qui laisse soudain de marbre ? Une histoire qui ne nous parle pas ? La morale qui prend le dessus et juge les décisions des protagonistes ?
Impossible pour autant de dire que c'est un livre mal écrit, mal construit : la belle écriture de Gaëlle Josse, mélancolique à souhait (peut-être trop), sa maîtrise de la narration, sont toujours au rendez-vous.
Mais je n'ai pas pu m'empêcher d'être lassée par les (com)plaintes et déclarations du frère et de la sœur sur l'un et l'autre, leur admiration mutuelle malgré la douleur et leurs différences ne m'a pas émue. Pas plus que ne m'a émue l'éponge que passe Isabelle sur des épisodes non dénoués de sa jeunesse (le chien abattu sans raison notamment) et que ne saurait excuser le traumatisme de la guerre d'Algérie.
Heureusement que tous les soldats choqués par la guerre ne sont pas devenus des pères invivables, égoïstes et suicidaires car l'humanité serait en piteux état. Je n'ai pas réussi à comprendre, à excuser et encore moins à aimer ce guide de haute-montagne qui n'aura pensé qu'à lui d'un bout à l'autre de sa vie. Et qui ne s'excuse pas même des anathèmes jetés à la figure de sa fille. La douleur n'excuse pas tout. Et je ne vois pas son geste ultime comme une délicatesse, une pudeur ou une envie de ne pas peser sur sa descendance. Je le vois comme un sommet d'individualisme.
Un roman qui n'est quasiment que souffrances, larmes, malédiction : frère et sœur sans enfant, mère décédée, père sans envie de vivre davantage, compagnon de l'une qui décède presque sous ses yeux, passion professionnelle impossible à rallumer, frère dévoué que la vie n'épargne guère, "ténèbres qui envahissent le cerveau", sentiment de culpabilité dévorant...
On se demande quand la série noire va s'arrêter pour cette pauvre famille. Heureusement, le roman est assez court.
Je quitte donc soulagée ces montagnes de tristesse, un peu désolée de ne pas avoir été prise par ce récit mais consciente aussi que "sans liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur" et que je me dois d'être toujour sincère avec les auteurs que j'admire.
À un prochain roman, chère Gaëlle !