La Panthère des neiges fut le livre de la consécration. Sylvain Tesson n’est plus, et nous, ses amis, devons nous en réjouir, un auteur rare que l’on fait découvrir à ses proches avec gourmandise, mais une célébrité littéraire. Ce n’est que justice.
Depuis son accident, Tesson est contraint à se ménager. Il marche moins, écrit plus et apprend à observer. Le photographe animalier Vincent Munier l’entraine sur les traces de la très discrète panthère des neiges tibétaine. De la chasse photographique à l’affut par moins trente degrés. Une école de la patience et du silence.
Tesson peine à respecter la consigne. Ses camarades sont mutiques, les autochtones rares. Alors, il écrit. Sa plume s’allonge, avouons qu’il se répète un peu. Notre misanthrope stoïcien déteste notre monde, ses foules, son confort factice et soupire après cette panthère qui se laisse désirer. Il tâte du taoïsme… Il s’ennuie un peu. Il est meilleur dans la rencontre et la beuverie. Les plus belles pages sont consacrées à sa mère et à un amour perdu. Séduite par son verbe ; il parle tout seul ; la féline se laissera photographier.
Extrait : « Définition de l’homme : créature la plus prospère de l’histoire du vivant. En tant qu’espèce, rien ne le menace : il défriche, bâtit, se répand. Après s’être étendu, il s’entasse. Ses villes montent vers le ciel. « Habiter le monde en poète », avait écrit un poète allemand au XIXe siècle. C’était un beau projet, un vœu naïf. Il ne s’était pas réalisé. Dans ses tours, l’homme du XXIe siècle habite le monde en copropriétaire. Il a remporté la partie, songe à son avenir, lorgne sur la prochaine planète pour absorber le trop-plein. Bientôt, les « espaces infinis » deviendront sa vidange. Il y avait quelques millénaires, le Dieu de la Genèse (dont les propos avaient été recueillis avant qu’il ne devînt muet) s’était montré précis : « Soyez féconds, multipliez, remplissez la Terre, et l’assujettissez ». On pouvait raisonnablement penser (sans offenser le genre clérical) que le programme était accompli, la Terre, « assujettie », et qu’il était temps de donner repos à la matrice utérine. Nous étions huit milliards d’hommes. Il restait quelques milliers de panthères. L’humanité ne jouait plus une partie équitable. »