Projet noble, celui de relater la quête mystique d’une panthère de neige dans les montagnes tibétaines. Certes, et quelques images s’inscrivent durablement dans ma mémoire de lectrice, quelques formules aussi, et encore. Justement, ce don de la formule et de l’aphorisme, sans doute indissociable de la littérature de voyage, don qu’un Nicolas Bouvier détenait aussi mais qu’il savait modérer, appesantit paradoxalement le style et me masque l’apparition de l’objet sacré sous des strates de ressentiment à l’encontre de la société moderne. La beauté naturelle dépeinte dans ces pages est à mes yeux parasitée par les sempiternelles sentences passéistes et par des considérations simplistes sur la modernité. L’opposition manichéenne entre la panthère des neiges, incarnation idéalisée d’une nature sauvage pure parce qu’amorale, et son pendant négatif, l’homme moderne – cet être obèse décérébré par les écrans – sous-tend un discours pontifiant aux relents nietzschéens, quand la narration de l’attente et de l’apparition aurait satisfait pleinement les desseins écologistes de l’auteur nostalgique. La panthère des neiges est suffisamment puissante, les montagnes tibétaines suffisamment radicalement altières, pour nous faire soupirer après une nature libérée de son parasite humain dans sa forme la plus virulente, sans qu’un narrateur ne vienne interrompre notre contemplation toutes les deux pages en nous sermonnant sur la stupidité de notre espèce à avoir quitté son état primitif. En bon homme moderne – celui qu’il abhorre tant apparemment – Sylvain Tesson ne se résout pas à mettre de côté son ego pour laisser place à la nature et nous étourdit de ses amours malheureuses ainsi que de considérations personnelles sur une philosophie taoïste vulgarisée plutôt que de nous autoriser à observer cette fameuse nature sauvage à laquelle l’humain s’est rendu aveugle et sourd. Cet angle mort narratif, celui d’une omniprésence paradoxale d’un narrateur bavard nous rappelant à l’ordre et nous invitant à contempler autre chose que nous même, m’empêche d’adhérer pleinement au projet de ce livre.