Le symbole "magique" de cette Peau d’animal (qui exauce quelques souhaits aux dépens de la vie de son possesseur) est moins présent que ce que je pensais. Il est le socle de l’histoire qu’on nous raconte sur Raphaël, mais on suit sa vie et ses déboires de manière réaliste, en étant plongés dans la société de l’époque et les différentes personnes qui la composent.
On ne s'attarde donc pas sur le choix de ses souhaits ; car ils sont peu nombreux, ils arrivent sans prévenir (soit il les fait bêtement par caprice, soit naturellement sans même s'en rendre compte). Ce sont les complications de vie issues de ces souhaits, qui sont l'objet de cette histoire.
Il y a ce passage désespéré au casino, puis ce don du dangereux « talisman », qui le mènera à son premier vœu (une grande fête alcoolisée avec tout à volonté), lors duquel il reviendra sur ses amours déçues, son acharnement au travail d'écriture, puis à ses galères d’argent qui l’ont mené à ce point de non-retour. Le fait que ses volontés soient maintenant comptées. Que va-t-il faire avec ça ? Coups de folie, économie de mots obsessionnelle, moments de bonheur simples et inattendus, souffrance. Il passe par différents stades.
Je n'ai pas aimé tous les moments de cette lecture. L'histoire de doute d'hermaphrodite sur Fœdora notamment. Et surtout de manière plus générale, l'agacement de Raphaël crée parfois aussi le nôtre. Je ne me précipitais pas pour poursuivre la lecture. Les scènes de folie (dans la méchanceté et dans les gestes incontrôlables), je n'adhérais pas vraiment. Mais il y a de quoi perdre pied, c’est sûr. Et puis il fallait bien trouver une fin crédible à tout ça.
Concernant Fœdora, j'ai bien aimé ce passage en revanche, l'un des seuls qui peut permettre de comprendre ce personnage qui avait l'air si hautain et sans empathie :
« - Ah ! dit-elle en riant, je suis sans doute bien criminelle de ne pas vous aimer ? Est-ce ma faute ? Non, je ne vous aime pas ; vous êtes un homme, cela suffit. Je me trouve heureuse d’être seule, pourquoi changerais-je ma vie, égoïste si vous voulez, contre les caprices d’un maitre ? Le mariage est un sacrement en vertu duquel nous ne nous communiquons que des chagrins. »
On y rencontre des jeunes aristocrates qui usent la vie par les deux bouts, des docteurs aux théories opposés, des montagnards,… Les personnages ont des caractères tranchés, parfois pour représenter tout un pan de la société, ou une Idée.
Il y a des passages marquants, les mots sont magnifiquement posés. On y ressent une peur, un désespoir, mais qui ne sont pas plombants, qui peuvent amener à réfléchir aussi sur nos propres volontés. À quelques rares instants, il y a aussi de l’espoir et des évocations de la Beauté, comme, lors d'un moment où la situation est au plus mal, il se trouve un temps réconforté par la nature environnante :
« En aucun endroit vous ne rencontreriez une plus belle entente entre l’eau, le ciel, les montagnes et la terre. Il s’y trouve des baumes pour toutes les crises de la vie. Ce lieu garde le secret des douleurs, il les console, les amoindrit, et jette dans l’amour je ne sais quoi de grave, de recueilli, qui rend la passion plus profonde, plus pure. (...) Raphaël ne supportait son fardeau qu’au milieu de ce beau paysage, il y pouvait rester indolent, songeur, et sans désirs. »
Sans désirs, ce n'est pas pour autant la morale à tirer de cette histoire, qui nous transmet aussi que sans désirs et sans volontés, on ne vit pas.