C'est un excellent ouvrage, extrêmement clair (sauf dans l'introduction, écrite avec les pieds : je suppose que l'auteur a dû bâcler la fin de sa thèse pour pouvoir soutenir dans les temps...), et très stimulant. Je vois quand même une critique de fond à adresser à l'auteur (mais c'est le genre de critiques auquel donnent lieu les très bons bouquins) : les thèses du livre reposent sur une définition peut-être un peu trop inclusive du "libertarianisme", ce qui permet à S. Caré de défendre facilement l'idée d'un "éclectisme éthique" des auteurs libertariens, et de prétendre que les critiques anti-libertariennes manquent souvent leur but en ne s'adressant qu'à une partie du mouvement. Sauf que cette thèse d'un "éclectisme éthique" repose notamment sur l'examen des oeuvres de Ludwig von Mises ou de Friedrich Hayek, qui ne se sont jamais déclarés libertariens et qui sont, de toute façon, bien plus "étatistes", à leur manière, qu'un Rothbard ou qu'un Nozick. L'auteur a beau jeu de prétendre que Hayek, dans un texte de 1960 ("Pourquoi je ne suis pas conservateur ?"), aurait affirmé son accord avec le courant "libertarien" : en 1960, le courant n'est pas encore constitué, les grandes oeuvres de Rothbard, Nozick et D. Friedman ne paraîtront qu'au début de la décennie suivante. Quand Hayek se déclare libertarien du bout des lèvres, il ne peut pas avoir en tête le système qui sera développé par les libertariens dans les années 1970. Pareil pour Ayn Rand, à laquelle S. Caré consacre de longs développements : c'est une théoricienne de peu d'envergure, ses principaux romans datent des années 50 ; du coup même si sa pensée politique est plus franchement anti-étatiste que celle de Hayek, on ne sait pas trop dans quelle mesure on est réellement autorisé à en faire une représentante authentique du courant. Il y a là du moins un risque d'anachronisme que l'auteur ne s'attache pas vraiment à lever.

Tout cela fait que l'auteur est conduit à adopter une définition vraiment minimale, et un peu molle, du libertarianisme, comme "utopie libérale" (pourquoi pas : le concept d'utopie pouvait sans doute être mobilisé à bon droit, mais S. Caré n'en fait à vrai dire pas grand chose, sauf dans l'introduction et la conclusion), comme radicalisation du libéralisme (mais encore ?) et comme extension du libéralisme à des domaines extra-économiques (mais justement, on aurait aimé plus de développements sur le rapport des libertariens à des questions de société, fussent-elles très théoriques, comme la drogue, l'immigration, la sexualité, etc., mais aussi le meurtre consenti, l'esclavage volontaire...). La définition plus classique du libertarianisme comme croyance dans l'idée d'une propriété sur soi et sur les fruits de son travail est malheureusement laissée de côté - ce qui permet, au passage, de refuser aux "libertariens de gauche" la légitimité de leur étiquette. L'analyse de la pensée de chaque auteur est passionnante, les relations établies entre les uns et les autres sont extrêmement intéressantes, mais il manque peut-être un parti-pris définitionnel un peu plus ferme pour que le livre de S. Caré soit organisée selon une ligne directrice vraiment forte.

Et ce n'est pas la faute de l'auteur, mais on regrette quand même que la préface de Claude Mossé annoncée sur la couverture ne figure pas dans l'ouvrage. On se sent un peu trompé sur la marchandise !
Gauvain
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le 6 déc. 2013

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