Oran, Algérie française, dans les années 40, un étrange phénomène surprend les habitants de cette drôle de ville. Les rats commencent à sortir à l'air libre pour mourir. D'abord anecdotique, la mort des rongeurs devient un véritable sujet de préoccupation pour la population. Jusque là les citoyens oranais vivaient une vie paisible dans leur cité grise sans arbres et cachée de la mer, n'ayant comme souci que le profit, bien ancrés dans leurs habitudes. Plus angoissant encore, les animaux meurent dans d'atroces convulsions, et leurs cadavres se putréfient parfois avant même qu'ils ne trépassent. Vous l'avez bien sûr deviné, la peste s'empare de la ville, d'une manière souterraine d'abord. Un narrateur qui se veut inconnu se propose de faire la chronique de ce fléau à l'aide de témoignages et d'écrits recueillis pendant cette période. Le premier personnage est un médecin sympathique, le Dr Rieu, qui est le premier à prononcer le nom de la maladie qui fait tant trembler. Les autorités sont d'abord frileuses pour déclarer l'état d'urgence, ne voulant pas créer de panique dans la population. Mais, très vite, les bubons et les morts se multiplient et il n'y a plus d'autre choix que de fermer la ville et d'entamer des mesures prophylactiques. Beaucoup de personnes sont séparées de leurs proche, dont le médecin, qui venait d'envoyer sa femme souffrante en cure. Un autre personnage se trouve prisonnier, Rambert, journaliste français qui vient de rencontrer l'élue de son cœur, n'aura de cesse de chercher une manière de fuir la cité empestée. Paneloux, le prêtre, y voit un signe de châtiment divin punissant ses concitoyens qui se sont trop laissé aller moralement au fil des années. Tarrou, un grand gaillard note des observations sur la ville dans ses carnets, très utile pour le mystérieux narrateur, il s'intéresse notamment à un nommé Cottard, qui, malgré une tentative de suicide peu avant l'épidémie, semble prospérer parallèlement à elle et espère qu'elle ne cessera jamais.
La peste est un travail de fiction sociale où Camus prend un groupe donné et le met face à une épidémie pour voir sa réaction. Je pense qu'il ne doit pas être loin de la vérité. Les habitants fuient les contacts physiques, mais en même temps ils ne peuvent s'empêcher de se retrouver dans les cafés, au cinéma, au théâtre, en évitant toutefois de se toucher. Ils dépensent très vite leur argent sans compter, quand ils se rendent compte qu'ils ne verront peut être pas la fin de ce fléau. Les restaurant, même de luxe, sont toujours plein, les gens craignent la solitude, et le rationnement est tellement difficile qu'il est plus simple d'aller au restaurant. Les amours interdits ne se cachent plus, et les oranais perdent cette attitude mesurée qui surprenait les étrangers. Une certaine solidarité s'instaure au fil du temps mettant tout les citoyens au même niveau : les séparés et ceux qui ont perdu quelqu'un de la peste, les riches et les pauvres tous sont prisonniers, tous sont soumis aux mêmes lois et aussi fragiles face à la maladie. Il y a toujours certaines personnes pour profiter du malheur des autres et la contrebande fleurit joyeusement, l'alcool surtout est très recherché. Les diseurs de bonne aventure font choux gras et l'église très vite désertée, le curé étant trop défaitiste et moralisateur aux yeux de ses fidèles. Le roman est écrit d'un rythme égal, avec une gradation qui monte à son paroxysme sur l'avant-dernière partie du roman. Camus sait très bien choisir les adjectifs qui font mouche, et nous toucher là ou ça fait mal, on passe du rire au larmes, et on ne peut s'empêcher de craindre pour les personnages auxquels on s'attache au fil des pages. Le début du livre fait penser à du polar, même si au titre, on sait très bien que les rats amènent la peste, on a envie de se prendre au jeu de l'enquête avec le Docteur Rieux. J'ai beaucoup préféré ce livre à l'Étranger, qu'on m'a tant vanté et qui m'avait ennuyée au final. C'est en voyant une dame dans le train tenir cet ouvrage que j'ai eu envie de le relire, et je ne regrette pas. Il diffère des autres romans traitant d'épidémies que j'ai pu lire, comme Le Fléau de Stephen King ou bien plus récemment l'homonyme Peste de Palahniuck, qui se la jouent plus "roman-catastrophe", si je puis dire, qu'étude sociale.
En faisant quelques recherches sur Google, j'ai trouvé qu'il y avait eu des cas de peste pulmonaire (comme dans le roman) à Oran en 2003, Camus serait-il un visionnaire?