Au delà du talent de conteur de Sweig, de sa capacité à restituer le charme d’une époque, ce qu’il maîtrise parfaitement c’est l’humain.
Anton Hoffmiller, le sujet du roman est jeune, fier de son statut d’officier, plein d’ambition et conscient que son acceptation dans la haute société est conditionnée par le respect des convenances.
Sa pitié va venir peu à peu, mais ce qui le perd dans un premier temps c’est sa volonté de “faire ce qui est juste”.
C’est parce qu’il tient tellement à respecter la hiérarchie, l’étiquette, la bien bien-bien-pensance qu’il va se retrouver lié à Edith et lui donner de faux espoirs.
Anton est gauche, et ça le rend éminemment sympathique.
Sweig arrive à saisir les contradictions qui animent le jeune homme: entre la vraie sympathie qu’il éprouve, la pitié face à la maladie, la bonté qui lui impose certaines réactions, les discussions avec d’autres personnes qui vont orienter ses choix, le rang qu’il se doit de tenir en tant qu’officier…
A défaut d’être bien né, il sait que pour s’élever socialement il est important d’être le petit officier modèle.
Il est tiraillé, et au fond les rares moments où il essaie de reprendre sa liberté, de se défaire de ce qu’il a contribué à créer malgré lui, on sait qu’il est trop tard.
On se retrouve immanquablement dans cette course dans le mur, on comprend d’autant mieux l’errance du personnage qu’on est nous aussi souvent travaillé entre ce qu’il convient de faire, ce qui nous est accessible, ce qu’on veut accomplir, ce qu’on attend de nous, et ce qu’on fera.
L’aventure d’Anton nous aide à mettre en perspective nos propres choix: s’il a été naïf en ignorant les conséquences de ses actes, et leurs répercussions, il n’est pas certain que d’autres réactions auraient été meilleures.
Parce que tout ce que nous faisons s’inscrit dans un environnement, et que chaque action s'inscrit dans un tout, nous ne sommes jamais totalement maîtres de ce qui nous arrive, et nos choix sont souvent conditionnés par une multitude de facteurs.
L’histoire aurait-elle été plus heureuse si le héros avait été plus égoïste? En tout cas on aurait eu moins d’attachement pour le personnage: Anton est touchant parce que ses mauvais choix sont un miroir de ceux qu’on pourrait faire.
Sweig a bien compris que les meilleurs des sentiments n’empêchent pas les drames de se produire.
Son étude de la pitié et de la façon dont on se débat avec elle est un grand moment d’exploration des sentiments humains et de leur ambiguïté. Un sujet passionnant et infini.