J'aimerais démarrer aussi bien que la lettre d'Edith, cette fameuse lettre détruite dans une condition tragique pour que quiconque ne puisse découvrir l'aveu frénétique qu'elle enveloppait.
Comme tous les personnages de Zweig, notre beau Hofmiller de vingt cinq ans est sensible et qu'on le veuille ou non, avec lui, l'émotion nous gagne vite.
De nature indépendante, le pire malheur qui a pu lui arriver est bien celui-ci ; développer une pitié (tout à fait normale) pour une jeune fille paralytique et ainsi tomber dans le gros piège inévitable qu'elle engendre; compatir voir sacrifier son existence sentimentale pour, au départ, seulement tenter de soulager une misère humaine.
Hofmiller attribue ses continuels faux pas à sa maudite pitié, à ce que Zweig appelle "l'impatience du cœur". Et c'est ainsi que le lecteur voit se dérouler le drame.
"C'est une chose dangereuse que la pitié, terriblement dangereuse". Zweig nous réapprend la définition de ce sentiment que l'on a tous au moins une fois ressenti.
On compatit très vite avec ce jeune officier, torturé par ses remords et de plus en plus tourmenté par cette jeune Edith, toute aussi innocente que lui, mais que le destin unit. Abattu, il choisit à plusieurs reprises de fuir toute cette relation, tout ce royaume kekesfalva qui lui martèle les tempes, seulement on peut "tout fuir sauf sa conscience".
Comme toujours Zweig étudie avec scrupule le fonctionnement de l'âme humaine, ses faiblesses, que ses héros incarnent le plus souvent.
Jusqu'au dénouement final tout devient riche en rebondissement, s'accélère jusqu'à finir par éclater. L'effet voulu est triomphal, on ne lâche plus le livre avant de l'avoir fini et lorsqu'on l'a fini, on comprend toute la dimension de l'œuvre.
Dans La pitié dangereuse, Zweig mélange avec subtilité son histoire à celle de l'Autriche de l'avant-guerre. L'auteur se décrit comme "témoin de la plus effroyable défaite de la raison et du plus sauvage triomphe de la brutalité". Son héro en fait tout autant; "ma faute personnelle s'était dissoute dans le marécage sanglant de la faute générale".
Je conseille vivement à tous ceux qui apprécient voire adorent Stefan Zweig de se plonger dans son unique roman qui est d'une profondeur et d'une puissance sensationnelle.
Il fait partie, pour ma part, d'un incontournable si l'on aime Zweig et l'émotion qu'il transmet !