On n'était pas prêt. On s'est dit que le petit format du livre (100 pages tout mouillé) allait convenir parfaitement pour un long trajet en bus : ne faites pas ça. On a pleuré comme un veau devant tout le monde. La Plus précieuse des marchandises est un livre qui frappe au creux du cœur, et vous met KO en un seul uppercut. Vous ne vous relèverez pas si fièrement de ces 100 pages bouleversantes. 100 pages, à moitié écrites, sous la forme d'un conte, sur une polonaise peu instruite qui pense que le train est une divinité mystérieuse dont on ne doit pas s'approcher, qui lui offre la vie d'un bébé à elle et son époux qui ne peuvent concevoir... Nous, lecteur, n'avons pas la niaiserie de son personnage principal, et c'en est d'autant plus cruel : on comprend tout ce qui se joue dans les langes de ce bébé qui devait finir "sous la douche", et se retrouve dans les bras d'une polonaise bébête mais bien intentionnée, qui met en danger tout l'entourage en gardant ce qu'elle croit innocemment être un don divin... Le mari, brutâsse au début,
ne résiste pas longtemps à la sensibilité et à l'entraide humaine, et surtout à l'amour de sa femme,
, et on se désole alors d'une situation tragique, inextricable, impossible, qu'on sait déjà vouée à un échec qui va nous briser le cœur. Et c'est peu dire. On ne vous révèlera rien de la fin, si ce n'est qu'on a commencé à sangloter sur les dernières pages de ce conte, si bien écrit, si bouleversant qu'il n'a pas l'air d'y toucher, avec sa forme de conte un peu bébête, simplement écrit, remplissant à moitié les pages, mais qui met une charge émotionnelle impressionnante dans le peu de mots qui noircissent ses feuilles. Si vous pensiez que les pages à moitié remplies sont preuves de légèreté, vous ne pouviez pas plus vous tromper : elles vous précipitent plus vite, plus sèchement, vers une fin que vous ne voulez pas voir arriver trop vite. Ou l'art de se faire passer pour plus simplet, pour faire encore plus mal. Le trajet en bus le plus court qu'on a fait de notre vie, même s'il nous a déposé chez nous le visage cramoisi et le cœur en miettes, c'est peu cher payé pour une des plus belles lectures qu'on a eu.