Avertissement : Ceci n'est pas vraiment une critique. Ceci est un ramassis de pensées éparses, personnelles, partant dans tout les sens et peuplées d'éventuelles digressions. Il est également fort possible que ces pensées soient remplies de spoilers.
Je l'ai lu en 2nde, pour les cours de Français, cours de Français qui étaient tellement merveilleux que je ne peux que regretter que l'on n'aie pas étudié le livre ensemble mais seulement du le lire pour nous. Et je l'ai adoré. Sans vraiment savoir pourquoi. Sans vraiment même me demander pourquoi. Et je l'ai relu, trois ans plus tard, et j'ai trouvé des éléments de réponse :
Ma préface dit : "L’analyse devient un moyen de progression et la substance même du récit. C’est parce que Mme de Clèves réfléchit sur ses sentiments, parce qu’elle cherche à les comprendre et à les dominer que l’histoire avance. […] l’angoisse que nous ressentons à suivre les progrès de la passion dans le cœur de Mme de Clèves est toute intellectuelle : c’est l’angoisse lucide d’un raisonnement qui va son chemin de chute en chute, de contradiction en contradiction, d’un bout à l’autre du livre." C'est vrai qu'il ne se passe pas grand chose, et c'est probablement pourquoi ce n'est pas vraiment le genre de livre dont on a envie de voir le film ou que le film peut donner envie de lire (surtout que j'ai d'autres choses à reprocher au film). Mais j'adore ça, quand on ne donne pas de l'importance aux faits, mais de l'importance à la psychologie des personnages, et à leurs pensées. Et c'est vrai que ça fait réfléchir, que c'est plus qu'une histoire, mais nous y reviendrons. Et puis j'aime quand les gens n'agissent pas, parce que je ne suis pas vraiment le genre de personne à agir, et que je trouve qu'un personnage qui n'agit pas est tout aussi intéressant qu'un personnage qui agit, et que ça nous en apprend tout autant.
"Quelque dangereux que soit le parti que je prends, je le prends avec joie pour me conserver digne d’être à vous. Je vous demande mille pardons, si j’ai des sentiments qui vous déplaisent, du moins je ne vous déplairai jamais par mes actions. " Mme de Clèves ne trompe pas son mari. Et il-y-a tellement de livres, de films ou de séries ou les gens se trompent. Au final, on en viendrait presque à penser Mais ils sont tombés amoureux de quelqu'un d'autres, c'est plus fort qu'eux, ils ne peuvent rien y faire, ils ne peuvent pas lutter contre. Et c'est comme ça que ça devient normal, que ça finit par sembler normal. Alors oui, je trouve ça bien de montrer que non, nous ne sommes pas esclaves de nos passions. Qu'avec un joli 1 bien fort, on peut arriver à des miracles. Même si on est malheureux, quoi que les 7 puissent en dire. Je fais partie des gens qui pensent qu'il vaut mieux avoir des regrets que des remords. Et je n'y peux rien, ça me touche les gens sévères trop sévères avec eux-mêmes, qui se contrôlent sans cesse, qui s'imposent des règles même quand ce n'est plus nécessaires, qui ont des principes et tiennent à ne pas les trahir malgré tout le mal que ça peut leur faire. Même si les gens trouvent ça absurde, même si aucune loi morale ne l'oblige vraiment à être fidèle à son mari après sa mort, chacun ses principes et sa vision de ce qui est moral ou non. "- Il n’y a point d’obstacle, Madame, reprit M. de Nemours. Vous seule vous opposez à mon bonheur ; vous seule vous imposez une loi que la vertu et la raison ne vous sauraient imposer. - Il est vrai, répliqua-t-elle, que je sacrifie beaucoup à un devoir qui ne subsiste que dans mon imagination".
Et tout cela est bien joli, mais il-y-a plus. Il-y-a ce que moi je retire du livre, de façon toute personnelle, pas forcément consciente et probablement à moitié absurde. Et quand je lis quelque chose de tragique comme ça, évidemment la question que je me pose est : Comment aurait-elle pu faire pour que ça ne lui arrive pas ?, ce qui probablement veut dire Que puis-je faire pour qu'un drame pareil ne m'arrive jamais ?. Et déjà en 2nde, je pensais avoir trouvé la réponse à cette question. La réponse me semblait vraiment évidente : Tu n'aimes pas M. de Clèves. Ne l'épouse pas, aussi adorable et parfait qu'il soit. Le jour à M. De Nemours arriveras, tu seras libre d'être heureuse avec lui. "Mme de Chartres lui dit qu’il y avait tant de grandeur et de bonnes qualités dans M. de Clèves et qu’il faisait paraître tant de sagesse pour son âge que, si elle sentait son inclination portée à l’épouser, elle y consentirait avec joie. Mlle de Chartres répondit qu’elle lui remarquait les mêmes bonnes qualités ; qu’elle l’épouserait même avec moins de répugnance qu’un autre, mais qu’elle n’avait aucune inclination particulière pour sa personne."
Mais quand je l'ai relu cet été, je ne pensais plus vraiment comme ça, ce n'était plus aussi simple. Je voyais M. de Clèves tomber amoureux d'elle de façon absolument touchante, M. de Clèves absolument adorable et désespéré, Mme de Clèves ressentir pour lui de l'estime et de l'affection ("Songez que pour faire ce que je fais, il faut avoir plus d’amitié et plus d’estime pour un mari que l’on n’en a jamais eu"), et Mme de Clèves s'en vouloir de ne pas l'aimer. ("Elle repassait incessamment tout ce qu’elle lui devait, et elle se faisait un crime de n’avoir pas eu de la passion pour lui, comme si c’eût été une chose qui eût été en son pouvoir"). Et la question que je me posais n'était plus "Qu'aurait du faire Mme de Clèves pour pouvoir être heureuse ?" mais "Pourquoi n'est-elle pas tomber amoureuse de lui, alors qu'il le méritait tellement et qu'ils auraient pu être heureux tous les deux ?".
Et je crois que c'était la bonne question. A laquelle ma préface apporte une réponse : l'amour est injuste, aléatoire. "Il y a, dans sa conception de l’amour, quelque chose de sombre, d’excessif, un pessimisme qui tranche avec l’aimable exubérance de ses prédécesseurs. Toute son œuvre, et La Princesse de Clèves au premier chef, dénonce les ravages d’une passion dont les douceurs apparentes cachent la faiblesse de l’homme, son inconstance, sa cruauté. L’amour la choque, d’abord, par son caractère capricieux et irraisonné. On n’aime pas l’être que l’on estime et qui rêve de vous rendre heureux : on aime une personne que l’on rencontre par hasard et qui, généralement, ne vous est pas destinée. ". Et c'est vrai que ce livre le prouve très bien. Mais j'ai beau l'aimer, je ne suis absolument pas d'accord. Parce que mon F et moi, on n'accepte que les conclusions dans lesquelles croire nous fait du bien. Et je n'aimerais pas un livre qui ne pourrait faire que me déprimer et m'enlever tout espoir. "Mais ce me sera toujours un soulagement d’emporter la pensée que vous êtes digne de l’estime que j’ai eue pour vous. Je vous prie que je puisse encore avoir la consolation de croire que ma mémoire vous sera chère et que, s’il eût dépendu du vous, vous eussiez eu pour moi les sentiments que vous avez pour un autre." Ça ne dépendait pas d'elle, c'est une réponse bien pratique. Mais est-ce bien vrai ? Pas selon moi, parce que je ne veux pas croire à quelque chose d'aussi déprimant.
Et comme je suis toujours pleine de ressources quand il s'agit de trouver des moyens de me rassurer et de me bercer d'illusions, j'ai trouvé à la question P*ourquoi ne tombe-t-elle pas amoureuse de lui ?* une réponse qui me convient mieux que l'amour est injuste et aléatoire. Je crois que la passion est injuste et aléatoire. Mais je ne crois pas que la passion soit l'amour, ni qu'elle ne soit vraiment souhaitable (pas pour les 6 en tout cas). Je veux croire que l'amour se fonde sur l'estime et l'affection. Mais je constate bien que ce n'est pas le cas. Ce qui ne suffit pas pour m'arrêter. Parce que j'ai trouvé le top des arguments : Chacun tombe amoureux de la façon dont il voit l'amour. Si tu crois que amour = passion, tu tomberas amoureux de façon aléatoire. Et tu seras très heureux, ou très malheureux, ou très heureux puis très malheureux. Beaucoup trop risqué pour mon petit 6.
Mais explication convenable pour Mme de Clèves. Comme son auteure, elle a une vision très pessimiste de l'amour : "M. de Clèves était peut-être l’unique homme du monde capable de conserver de l’amour dans le mariage. Ma destinée n’a pas voulu que j’aie pu profiter de ce bonheur ; peut être aussi que sa passion n’avait subsisté que parce qu’il n’en aurait pas trouvé en moi. Mais je n’aurais pas le même moyen de conserver la vôtre : je crois même que les obstacles ont fait votre constance. Vous en avez assez trouvé pour vous animer à vaincre et mes actions involontaires, ou les choses que le hasard vous a apprises, vous ont donné assez d’espérance pour ne pas vous rebuter. ". Si à la fin elle s'éloigne de M. de Nemours alors qu'il n'y a plus de réel obstacle, ce n'est pas seulement par culpabilité et principes, c'est aussi parce que pas un instant elle ne croit qu'ils pourront être heureux ensemble. Pas un instant elle ne croit que la fidélité peut être possible. Et ce n'est pas étonnant vu le monde dans lequel elle évolue. Qui n'est somme toute pas si différent du notre. Mais moi je me rassure avec l'explication pratique que les gens agissent comme ça parce qu'ils ne pensent pas que l'on peut agir autrement. Et que si ils y croiraient, ça serait possible.
Moi et mes théories fumeuses, on pourrait croire que l'on ne fait que se bercer d'illusions pour se rassurer. D'ailleurs, c'est ce que je crois, à moitié. Mais malgré tout je continues de croire en mes théories fumeuses. Qui ne sont pas si fumeuses que ça. Parce qu'elles sont parfaitement cohérentes avec ma bien-aimée théorie de la dissonance cognitive. Il-y-a des cognitions "l'amour est ceci et cela", des cognitions "j'attends ci et ça", des cognitions "cette personne est comme ci et comme ça". Et en fonction de l'accord entre ces cognitions, on équilibre la balance en ajoutant "je suis amoureuse de cette personne" ou "je ne suis pas amoureuse de cette personne". C'est fou comme ça ne semble pas romantique. Mais en fait je trouve ça beaucoup plus romantique que le romantisme qui conduit à une vision pessimiste. Et ça fonctionne parfaitement, parce que si ta cognition "l'amour est ceci et cela" ressemble à "l'amour est aléatoire et on tombe amoureux de quelqu'un qui n'a pas forcément de mérite", la cognition "je suis amoureuse de cette personne" risquera d'apparaître quand les deux autres cognitions seront en contradiction. Et c'est pour ça que les Marianne Dashwood tombent amoureuses des méchants Willoughby et les Elinor Dashwood tombent amoureuses des adorables Edward Ferrars.