"J'appelle ici amour une torture réciproque"
Si Proust a l’habitude de nous parler des chambres, rarement il nous aura autant confinés à une ou deux pièces. Après le bol d’air de Balbec, les nombreuses promenades et visites présentes dans Sodome et Gomorrhe, nous voici enfermés dans un appartement, pire, une partie seulement de cet appartement. Il nous livre un huis clos obsessionnel, tournant autour d’Albertine.
Il ne s’agit pas tant d’amour que de jalousie, de désir de possession. Le narrateur, pourtant vite las en présence de la jeune fille n’aura de cesse de chercher à la ramener à lui. Son absence est une véritable torture remplie de fantasme sur des activités peu chastes qu’elle aurait – ou pas – dès qu’elle quitterait la vigilance du narrateur ou de l’un de ses espions. La jalousie et la méfiance appellent le mensonge, de sorte que très vite le narrateur discernera des incohérences dans les propos d’Albertine, incohérences qui ne feront qu’attiser le désir de contrôle.
On se rappellera la jalousie de Swann à propos d’Odette, elle est ici amplifiée par la cage dorée dans laquelle le narrateur enferme Albertine tout en essayant de lui laisser croire qu’elle est libre. Justifiée ou non, l’attitude, l’obsession deviennent pesantes. Les objets changent mais pas l’idée maîtresse.
Le seul brin de fraîcheur, la pause salvatrice du roman sera la soirée Verdurin, où l’on retrouvera avec délice les personnages du « petit clan » notamment Charlus qui m’a fait rire avec son application littérale d’un « pensez à moi » en guise d’invitation - il déclare avoir pensé à son hôtesse sans pour autant se rendre à la soirée.
Enfin un lointain rêve de Venise reviendra au goût du jour, plein d’espoirs par avance déçus, nous sort de cet appartement au moins par la pensée, promesse d’une suite plus ouverte au monde extérieur.