Il faudrait choisir de cesser de souffrir ou de cesser d'aimer. Car,
ainsi qu'au début il est formé par le désir, l'amour n'est entretenu
plus tard que par l'anxiété douloureuse.
On dit une cinquième fois bonjour à A la recherche du temps perdu avec La Prisonnière, le roman du confinement physique, psychologique, et thématique.
La jalousie n’est souvent qu’un inquiet besoin de tyrannie appliqué
aux choses de l’amour.
Physique, car le roman se déroule quasi-exclusivement en huis-clos, dans la maison du narrateur. Oubliez le grand air des bords de mer de Balbec. Les excursions à l'extérieur seront très brèves, si on fait exception d'une longue réception chez les Verdurin mais organisée par ce cher Monsieur de Charlus. Je vais y revenir un peu plus bas.
Psychologique, car le narrateur est obsédé par le sentiment de la jalousie et ne peut s'empêcher d'être obnubilé par elle à travers le personnage d'Albertine, "prisonnière" consentante, et imagine tous les actes, la plupart gomorrhéens, qu'elle pourrait commettre hors de sa présence, analyse tous ses gestes, toutes ses paroles, toutes les contradictions de ces dernières, avec une précision qui confine à la plus profonde des obsessions.
Thématique, car la perception, vague du temps, est entièrement dépendante de la jalousie. On pourrait penser qu'on sort de cette thématique le temps de la réception des Verdurin organisée par ce cher Charlus. Que nenni. La jalousie ne manque pas de ronger aussi une Mme Verdurin, humiliée par Charlus ; ce dernier ne manquera pas d'en payer le prix fort.
J'ai parlé d'analyse un peu plus haut. Le mot est un peu faible, je le reconnais. Quant il s'agit de Marcel Proust, on est plutôt obligé d'écrire qu'il va même jusqu'à la plus minutieuse des décortications. Et là, encore la justesse de l'écrivain pousse à la plus grande des admirations.
Il ne faut pas ne redouter dans l’amour, comme dans la vie habituelle,
que l’avenir, mais même le passé qui ne se réalise pour nous souvent
qu’après l’avenir, et nous ne parlons pas seulement du passé que nous
apprenons après coup, mais de celui que nous avons conservé depuis
longtemps en nous et que tout d’un coup nous apprenons à lire.
Admiration renforcée quand on sait qu'il a écrit cette oeuvre dans l'urgence car cruellement limité par ce fameux temps (et les quelques incohérences, tel ce pauvre Saniette qui ne manque pas de mourir deux fois, ne le font que mieux nous le faire ressentir et donner encore plus de valeur émotionnelle à l'ensemble !!!) . Après la prison, la disparition...