Dans les épisodes précédents : le narrateur réalise que l'homosexualité l'entoure de plus en plus, entre Charlus, Morel, la sœur de Bloch et son amie, etc. Il en déduit donc que sa compagne Albertine est gomorrhéenne, suite à une réflexion du docteur Cottard. Pour empêcher les rencontres saphiques de la jeune fille, il décide donc de la faire vivre à ses côtés à Paris.
C'est donc quelques temps après la décision de vie commune à Paris que La Prisonnière commence. Comme depuis le début de sa liaison avec Albertine, le narrateur ne sait où il en est de ses sentiments pour elle. Il affirme sans cesse ne pas l'aimer (ça fait déjà trois bouquins, de quoi gaver les moins persévérants dans la Recherche) mais il lui voue une obsession sans borne. Interrogatoires, surveillances, manipulations pour l'empêcher de fréquenter certaines femmes, tout est permis pour se rassurer et pour l'enchaîner. La Prisonnière fait donc de ce paradoxe un thème central et a de quoi nous faire revoir la définition des relations amoureuses : est-on vraiment amoureux de l'autre ou ne cherche-t-on pas uniquement à le posséder ? That is a question, comme le disait William cinq siècles plus tôt.
Proust s'autorise toutefois une grosse digression avec une scène... mondaine, pour changer. Mais cela se passe lors des soirées du clan Verdurin, donc ça va. Les crises de Verdurin époux contre Saniette, les manigances de sa femme, tout cela fait le sel de ses scènes et aère le bouquin.
Car si Sodome et Gomorrhe savait doser entre relations amoureuses et/ou homosexuelles et soirées mondaines, ce n'est pas tant le cas ici. La relation entre le narrateur et Albertine y est mentionnée en long, en large et en travers, au point que la fin du livre dérive vers la dissertation. Typiquement proustien, me direz-vous. Certes, mais cela devient excessif à certains moments, comme quand le narrateur discute littérature avec Albertine (ce qui plaira sûrement à ceux qui ont lu les livres en question, et encore, mais assommera très facilement les autres). Les dernières pages sont particulièrement difficiles à cause de cela, même si la fin est magnifiquement écrite.
On retrouve dans La Prisonnière ce qui était si excellent dans Sodome et Gomorrhe, à savoir une vision plutôt fine des relations et les Verdurin (of course). Mais je mettrai un petit bémol sur la fin (hormis les toutes dernières pages) qui sont chiantes pour le coup. Je vais finir quand même sur une note positive, parce que La Prisonnière la mérite : jamais relation entre un homme et une femme n'aura été si bien retranscrite dans toute sa complexité.