Commençons par dire que je ne connais pas Panayotis Pascot : je ne regarde pas Quotidien, l’émission qui l’a lancé, et n’ai pas vu son spectacle. Je n’ai donc aucune raison d’aimer ce livre a priori (ni de ne pas l’aimer, d’ailleurs), et les mauvaises langues diront aucune raison de le lire non plus ; heureusement je n’en suis pas, et j’étais curieux de lire les confessions d’un jeune homme de ma génération, publiées dans la collection Bleue de Stock, succès de librairie par-dessus le marché.

Une fois qu’on a posé ce préambule, disons que c’est un très mauvais livre. Panayotis Pascot écrit comme ça lui vient, et ça lui vient beaucoup, c’est un « style » très oral qu’on imagine très bien dans un sketch de stand-up. Sauf que c’est un livre et qu’on nous le vend comme de la littérature : Stock, la Bleue, le bandeau « RENTRÉE LITTÉRAIRE »… Dès la première page, une phrase interpelle : Pascot parle de son père (original…), qui va bientôt mourir, et là, « j’ai vu son regard se perdre souvent dans le vide, pas en mode réflexion, en mode bilan » (p. 7). On est à peine à la moitié de la première page, et on se dit qu’encore 200 pages de cet acabit-là, ça va être long. Et en effet, la première impression est souvent la bonne, le livre est truffé de formules très très étranges : « pleurer c’est jouir mais des sentiments » (p. 29), « Et là j’ai senti que tu regardais mon anus dans les yeux » (p. 36), « le sel comme du parmesan râpé sur le front » (p. 121) qui m’a vraiment interloqué, je sais bien qu’il est à Marseille à ce moment du récit, mais du sel comme du parmesan, tout ça laisse songeur.

Ce n’est pas parce qu’on écrit des sketches ou des spectacles qu’on est un écrivain. Pascot se met en scène en tant qu’écrivain et on est presque gêné de lire ça ; page 50 il se compare à Jésus, à l’aise, et page 129 on lit cette maxime : « Il y a encore quelques temps, je me lavais les mains avant d’écrire. Maintenant j’ai compris que se laver les mains et écrire c’est la même chose ». Franchement… Publier c’est quoi, enlever la bonde du lavabo ? Et les lecteurs, c’est les égouts ? Pascot fait beaucoup de références aux « films » (sans jamais en nommer un), mais jamais à des livres ou à la littérature (il dit qu’on lui a offert Charles Juliet mais on ne sait pas s’il l’a lu), alors que les thèmes qu’il aborde sont tout à fait littéraires : la relation au père, la découverte et l’acceptation difficiles de l’homosexualité, la dépression. Il y avait de quoi piocher dans le répertoire ! Tout est écrit avec une telle vulgarité qu’on ne prend rien au sérieux et que la fin du livre sur sa dépression, très forte et assez touchante, perd en puissance et en crédibilité. À toutes les pages, des vulgarités gratuites : « bande de cons », « tu me fais chier », « il me baise », « je me branle » (il se branle beaucoup). L’écriture est vraiment faible : des oublis volontaires de négation qui affaiblissent des formules qui pourraient être intéressantes (« Tant qu’ils ronflaient, ils étaient pas morts » (p. 11)), des insultes qui sortent comme ça (« C’est du Schopenhauer, le gars qui m’a coûté un point au bac de philo parce que j’ai mal écrit son nom. Connard d’Allemand » (p. 103)).

Il parle de sa bite tout le temps, c’est insupportable : est-ce qu’on imagine une célébrité femme sortir un livre où elle parle de sa chatte et de se branler sur 200 pages et être encensée partout comme Pascot ? Qu’il parle de sexe n’est pas un problème a priori, ce qui me dérange c’est ce qu’il en fait : il répète qu’il n’est pas bon au lit, précise à chaque anecdote qu’il pense déjà à ce qu’il va en écrire… Par un hasard du calendrier, j’ai relu La plus secrète mémoire des hommes, le roman magistral de Mohamed Mbougar Sarr, qui fait dire par son personnage Siga D. sur les performances sexuelles des écrivains :

Les écrivains, et j’en ai connu beaucoup, ont toujours été parmi les plus médiocres amants qu’il m’ait été donné de rencontrer. Tu sais pourquoi ? Quand ils font l’amour, ils pensent déjà à la scène que cette expérience deviendra. Chacune de leur caresse est gâchée par ce que leur imagination en fait ou en fera, chacun de leurs coups de reins, affaibli par une phrase. Lorsque je leur parle pendant l’amour, j’entends presque leurs « murmura-t-elle ». (p. 34)

Ce qui me gêne le plus dans tout ça, ce n’est pas le livre – il semblerait que les gens aient aimé ce témoignage, dont acte – mais l’objet éditorial : on nous fait passer ça pour de la littérature alors que c’est juste un livre de célébrité contemporaine comme il en existe tant d’autres, un produit marketing. C’est extrêmement décevant de la part de Stock, d’autant que je pense que personne n’a relu le livre : j’ai relevé une belle faute d’accord page 191, et page 37 il manque carrément un mot (« je ressemble un enfant tout sage »). Outre la fin sur sa dépression, il y a quand même un passage que j’ai trouvé beau :

Ces mots sont nuls, « je t’aime », c’est nul. Tout le monde le dit, ça n’appartient même pas à celui qui le dit, ça appartient aux films romantiques, aux séries sur les lycéens, aux chansons d’amour, ça appartient à Cabrel « Je t’aime ». (p. 91)

L’avantage des succès de librairie, c’est qu’on en trouve dans son entourage et qu’on n’a pas besoin de les acheter pour se tenir au courant. Si vous y avez échappé, attendez la sortie poche en septembre. Si vous n’avez pas d’entourage, écrivez un livre ; si vous êtes une star de la télé, on vous publiera.

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le 12 mai 2024

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Antoine Grivel

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