Se lit dans la première partie du roman (qui en comporte quatre, comme les quatre décennies qui s'écoulent dans le récit) une phrase traduisant bien la conduite de son lecteur : « On papillonne et on se débat pour essayer de garder son équilibre. » C'est que ce livre, écrit un peu à la façon de Virginia Woolf, suivant les techniques du courant de conscience, auxquelles se joignent les tours de jonglerie de la focalisation, oscillant de la première à la troisième personne, déstabilise. Il déstabilise mais n'égare pas, ce qui n'était pas gagné étant donné la complexité de ce style, qui s'accompagne par ailleurs d'une absence notable de sauts de ligne qui auraient pu permettre de respirer. Mais Damon Galgut veut étouffer, un peu en tout cas, son lectorat, le plonger dans les tensions familiales et sociétales de cette Afrique du Sud en plein bouleversement ; alors il le traîne de paragraphe en paragraphe, l'entraîne aux côtés de personnages trop humains, parfois croisés là, par hasard, l'enchaîne à ces destinées terribles qui, pourtant, égayent parce que l'ensemble, protéiforme, est un défi lancé aux yeux des curieux. Ainsi, cette tragédie romanesque s'habille de mots réfléchis, d'un rythme inédit et d'un sourire incisif, qui fascinent.