S'appuyant sur la pensée développée dans Le Nouvel esprit scientifique, La Psychanalyse du feu se lit d'abord comme le traitement d'un cas, celui du feu dans l'esprit non scientifique, dans le cadre de cette pensée. Mais à travers cet exemple fortement marqué de subjectivité, Bachelard montre avec beaucoup de légèreté combien l'esprit est contaminé d'images et de préconceptions qui tout en empêchant la connaissance objective de ce que l'on observe, rend possible l'activité poétique.
Et c'est le délice de cette écriture qui prend plaisir à évoquer les théories de sinistres « scientifiques » oubliés, d'alchimistes obscures, riant de la naïveté de leur esprit qui s'autorise les associations les plus suspectes, les délires les plus subjectifs ; cette écriture qui tout aussi bien analyse avec une grâce égale la poésie de Novalis, celle de Hoffman, et d'autres. Cet esprit qui sanctionne dans les théories les plus hasardeuses la subjectivité qui les parasite, la glorifie dans la poésie. Parce que la voix de la subjectivité qui fait obstacle lorsqu'on veut comprendre le monde et l'appréhender, devient le moyen de la connaissance de soi et de l'homme, la voix de la poésie.
Il faut goûter cette tendresse particulière avec laquelle il regarde le primitif et son geste recommencé. Cette tendresse qui l'attache à l'homme dans son activité et son travail.
A titre d'exemple, je citerai deux passages pour montrer combien l'écriture de Bachelard, belle et limpide, intelligente et séduisante est un régal pour l'esprit qu'il contente tant par la force de son fond que par la douceur de sa manière :

"On le voit, dans les circonstances les plus variées, l'appel du bûcher reste un thème poétique fondamental. Il ne correspond plus, dans la vie moderne, à aucune observation positive. Il nous émeut quand même. De Victor Hugo à Henri de Reigner, le bûcher d'Hercule continue, comme un symbole naturel, à nous dépeindre le destin des hommes. Ce qui est purement factice pour la connaissance objective reste donc profondément réel et actif pour les rêveries inconscientes. Le rêve est plus fort que l'expérience."

"Sous une forme un peu paradoxale, nous dirions volontiers que l'âge de la pierre éclatée est l'âge de la pierre taquinée tandis que l'âge de la pierre polie est l'âge de la pierre caressée. Le brutal brise le silex, il ne le travaille pas. Celui qui travaille le silex aime le silex et l'on n'aime pas autrement les pierres que les femmes [...] Avec la pierre polie on passe de la caresse discontinue à la caresse continue, au mouvement doux et enveloppant, rythmé et séducteur. En tout cas, l'homme qui travaille avec une telle patience est soutenu, à la fois, par un souvenir et un espoir, et c'est du côté des puissances affectives qu'il faut chercher le secret de sa rêverie."

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le 11 déc. 2010

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