Rarement de ma vie je n'aurais lu une histoire aussi étrange. A la fois fascinante, somptueuse, mystérieuse et dangereuse, le voyage du héros (autobiographique et fantasmé) du dénommé Randolph Carter, est un long périple, une ode lyrique au lointain inaccessible, à l'absence de frontière sans limite des vastes contrées à en perte de vue (sans limite imagé du cadre audiovisuel, ou même devrais-je dire ici spatio-temporel).
Rien n'est plus fort que l'imaginaire.
L'imagination est plus importante que la connaissance car la connaissance est limitée tandis que l'imagination englobe le monde entier. La logique vous mènera d'un point A à B. L'imagination vous mènera partout. (Einstein le savant rationnel)
Démons et Merveilles est exactement ce qui nous attend dans cette quête onirique face à l'inconnue. Être inconscient, plongé justement dans celui-ci, Carter double de l'auteur se retrouvera en affrontement de clair-obscur sur ce qu'il entoure. Beauté naïve du rêve et ténèbres de chimères au plus profond des cauchemars, c'est une magnifique traversée evasive d'une immense longueur.
Mais cette longueur à un prix. Serait vous prêt modestes voyageurs à suivre le guide sans échanges avec vous ?
https://www.google.com/url?sa=t&source=web&rct=j&url=https://www.nccri.ie/fantastique/texte/lovecraft_quete_onirique_kadath_inconnue.pdf&ved=2ahUKEwit8arW5vT8AhUccaQEHbffAdkQFnoECCsQAQ&usg=AOvVaw0Wt962IiB6IbdMeLl18dwy
Par trois fois Randolph Carter rêva de la cité merveilleuse.
Par trois fois il en fut arraché au moment où il s’arrêtait sur la
haute terrasse qui la dominait. Dorée, magnifique, elle flamboyait
dans le couchant, avec ses murs, ses temples, ses colonnades et
ses ponts voûtés tout en marbre veiné ; avec, aussi, ses fontaines
aux vasques d’argent disposées sur de vastes places et dans des
jardins baignés de parfums, et ses larges avenues bordées
d’arbres délicats, d’urnes emplies de fleurs et de luisantes rangées
de statues en ivoire. Sur les pentes escarpées du septentrion
s’étageaient des toits rouges et d’antiques pignons entre lesquels
serpentaient des ruelles au pavé piqueté d’herbe. Fièvre des
dieux, fanfare de trompettes célestes, fracas de cymbales
immortelles, la cité baignait dans le mystère comme une
fabuleuse montagne inviolée dans les nuages. Carter, le souffle
court, debout contre la balustrade, sentait monter en lui l’émotion
et le suspens d’un souvenir presque disparu. La douleur des
choses perdues et l’irrépressible besoin de reconnaître un lieu
autrefois puissant et redoutable.
Jadis, la cité avait eu pour lui une importance capitale. Il le
savait, sans pouvoir dire en quel cycle du temps ni en quelle
incarnation il l’avait connue, ni si c’était en rêve ou à l’état de
veille. Elle évoquait en lui de vagues réminiscences d’une prime
jeunesse. Lointaine et oubliée, où l’étonnement et le plaisir
naissaient du mystère des jours, où l’aube et le crépuscule
avançaient en prophètes, au son vibrant des luths et des chants.
Mais chaque nuit, sur la haute terrasse de marbre avec ses urnes
bizarres et sa balustrade sculptée, il contemplait la silencieuse
cité du couchant, magnifique et pleine d’une immanence
surnaturelle. Il sentait alors peser sur lui la férule des dieux
tyranniques des songes ; car il était incapable de quitter ce
belvédère, de suivre les degrés marmoréens dans leur descente
infinie jusqu’à ces rues fascinantes baignées de sorcellerie.
Quand pour la troisième fois il s’éveilla sans avoir pu
descendre ces escaliers ni parcourir ces rues inanimées, il pria
longuement et avec force les dieux cachés des songes qui planent
capricieusement au-dessus des nuages de Kadath l’inconnue,
dans le désert glacé où nul homme ne s’aventure. Mais les dieux
ne lui répondirent point et ne lui montrèrent point d’indulgence.
Ils ne lui donnèrent pas non plus de signe favorable quand il les
pria en rêve, ni même quand il leur offrit un sacrifice par
l’entremise des prêtres barbus Nasht et Kaman-Thah, dont le
temple souterrain s’étend non loin des portes du monde éveillé et
au sein duquel se dresse un pilier de feu. Il sembla même que ses
prières eussent été mal reçues, car dès après la première d’entre
elles il cessa de voir la prodigieuse cité. C’était comme si les trois
aperçus qu’il en avait eus n’eussent été qu’accidents dus au
hasard ou à la négligence, et contraires à quelque plan secret des
dieux.
Carter étouffait du désir de suivre ces avenues scintillantes
dans le couchant et ces mystérieuses ruelles qui montaient entre
d’antiques toits de tuile. Il était incapable de les chasser de son
esprit, qu’il fût endormi ou éveillé. Aussi résolut-il de se rendre là
où aucun homme n’était jamais allé et d’affronter dans les
ténèbres les déserts glacés, jusqu’à Kadath l’inconnue, celle qui,
voilée de nuages et couronnée d’étoiles inimaginables, renferme
dans ses murs secrets et noyés de nuit le château d’onyx des
Grands Anciens.