Il s’agit d’une plongée fascinante dans l’atelier du poète. Loin du cliché de l’inspiration, de la poésie qui coule de source, la poésie est montrée comme une savante combinatoire, une lutte, mais plaisante, avec les mots, une forge, pour reprendre la métaphore de l’atelier, pour arriver à un alliage (ou une marqueterie en cas d’échec, quand la fusion ne prend pas). Ce qui nous est montré, ce n’est pas le travail préparatoire d’un poème dont on nous donnerait la forme aboutie, car comment mettre un terme à la recherche de l’expression parfaite, comment choisir entre d’infinies variations ? Autre difficulté dans la démarche de Ponge, qu’articule bien ce recueil : la relation complexe entre la trouvaille poétique, peut-être nécessairement subjective et dépendant des circonstances, du moment où l’objet est saisi, et la volonté de révéler une vérité objective et permanente à son sujet.
S’agit-il, dans ce recueil, de « prendre le parti des choses » ? Souvent plutôt s’exprime la volonté de les dominer, pour rendre le monde plus habitable. L’on peut d’ailleurs remarquer peut-être un contresens, ou du moins un gauchissement de la pensée de Ponge dans l’édition Folio plus Lycée, au demeurant excellente pour ceux qui travailleraient cette œuvre pour le bac : elle insiste sur l’harmonie entre homme et objets, alors de plusieurs passages montrent plutôt une volonté de maîtrise de la nature et de l’objet. À ce propos, l’édition oublie une référence évidente en filigrane : Le Discours de la méthode de Descartes, dont le recueil semble partager le but de faire des hommes « comme les maîtres et possesseurs de la nature ».
Autre point qui m’a intéressé : la Deuxième Guerre mondiale en filigrane. Cette poésie qui semble si peu liée à l’actualité est en fait un résultat de l’exode, et est déjà une façon de résister : il s’agit de dire la vérité pour lutter contre l’obscurantisme.
Enfin, deux réserves pour nuancer mon enthousiasme : tout d’abord, ce recueil n’a pas l’humour que l’on retrouve souvent dans Le Parti pris des choses. De plus, quand Ponge multiplie les variations sur un même poème avec d’infimes variations, les lit-on vraiment ?