On doit toujours avoir quelques réserves quand on écrit sur un classique reconnu en dehors de tout contexte universitaire car le jugement repose alors sur une subjectivité que ne permet pas l’étude scientifique.
Aussi mon avis mitigé sur ce grand roman se fera-t-il succinct.
Feuillu, foisonnant, le roman acquiert tout de même ici ses lettres de noblesse. Des complots, des trahisons, des jeux de pouvoirs, tous les ingrédients sont superbement dosés pour tenir en haleine un lecteur avide de divertissement. Des figures angéliques enrobées dans leurs beaux atours, enveloppées de bijoux, côtoient des figures du mal habillées de noir, matricides, cruelles, impitoyables, se livrant à la magie noire, comme la reine mère Catherine de Médicis. Bien sûr, il y a un petit côté enfantin à toutes ses aventures qui pourraient se passer dans une cours de récréation à défaut du Louvre : on se jalouse, on se trompe, on se titille, on court partout dans des passages secrets ; il y a le beau chevalier un peu bête amoureux platonique d’une reine trop belle qui roucoule sous ses fenêtres ; il y a le roi un peu cruel et primaire qui se laisse manipuler par sa mère et ne s’intéresse qu’à la chasse, un mâle viril qui va bien souffrir ; il y a le bourreau gentil et la petite scène de torture qui va bien ( mais non, c’était pour rire !); et les scènes de batailles, les grandes épées, les chevaux … Alexandre Dumas aurait fait fortune au temps des jeux vidéos, sans aucun doute.
Mais ne soyons pas avare de notre plaisir, on avale les 600 pages d’aventures sans cesse renouvelées comme un enfant aspire sa barbe à papa en s’en mettant plein partout.
Un plaisir qui pourtant ne fait pas oublier que la barbe à papa, c’est léger, c’est sucré, mais ça ne nourrit pas.
On peut regretter que l’Histoire soit si romancée.
La Saint Barthélemy devient une petite affaire de famille pendant laquelle on entend bien quelques cris dans Paris mais dont on ne voit et on ne comprend rien.
La royauté ne se relèvera jamais de ce genre de roman où elle apparaît faussement coupée de toute réalité commune. La France a-t-elle jamais eu à sa tête ces jeunes inconscients qui ne parlent jamais de leurs activités autres que de manigancer des histoires de famille et de cœur? La postérité a même gardé précieusement la fausse version de Dumas sur l’implication des seigneurs dans le massacre de la Saint Barthélémy, plutôt que la réalité historique prouvée documents à l’appui. Ce n’est pas le bon peuple qui a massacré femmes et enfants protestants par racisme, non, c’est impossible : ce sont bien sûr les méchants rois qui ont tout fomenté…
Un Stendhal donnera même une postérité toute romanesque au personnage bien falot de l’amoureux de la Môle, perpétuant ainsi la confusion entre réalité et fiction.
Cette vision naïve et volontairement flatteuse pour la roture devenue la classe dominante utilise aussi un langage approprié au divertissement qu’elle propose : 80 % de dialogues vifs et enlevés et 0 distance du narrateur, de l’anti Balzac en quelque sorte. Seul le plaisir du récit compte, parfois au détriment de celui de l’esprit.
Je m’excuse d’avance auprès des adorateurs de ce type de littérature qui trouveraient mon approche un peu trop nuancée. Pour mon excuse, j’avoue quand même avoir vécu quelques bons jours à la cour de France en 1572, même si je sais que ce n’est pas la vérité historique ; mais après tout, le divertissement est réussi !