Lu en Février 2022. Ed du Soleil. 8,5/10
Montherlant c’était pour moi un quasi inconnu. J’ai découvert, en l’étudiant, un personnage controversé mais haut en couleur et surtout considéré par ses contemporains comme le plus grand écrivain de son époque.
L'action de La Reine Morte prend place dans un cadre très classique : une cour royale (Portugal), une infante qui se plaint au roi d'un amour contrarié et des suivantes (Dames d'honneur) qui commentent l'action pour expliciter ou donner du piquant à travers le lyrisme grandiose.
"L'infante n'aimait pas tant les Navarrais, lorsqu'elle était en
Navarre !" (I,1 - p18)
-> Ces commentaires me font d’ailleurs beaucoup penser au rôle des “petites filles” dans Electre mais ce n’est pas beaucoup développé plus après.
"Le père Martorell, lorsqu'il est interdit, a une éruption de bouton
sur tout le corps, et expire sous trois jours." (I-1 p15 - L'infante)
C'est un peu excessif, et c'est volontaire sans doute. Une telle phrase tournée au présent de vérité général, c'est déjà de l’absurde.
Cette pièce ayant été écrite durant la collaboration, il y a sans aucun doute toute une lecture possible sur la collaboration mais ce n’est pas limpide.
Dans un moment de crise, le langage peut parfois s'imposer à soi :
"Introduisez le Prince. Je ne sais jamais que lui dire ; mais,
aujourd'hui, je le sais" (I-2 p23 - Ferrante)
Le discours de Ferrante à son fils pose le décor. Leur divergence est idéologique, pour le père il faut faire passer le bien du plus grand nombre et de fait le respect des coutumes, avant tout ; pour le fils, la vie heureuse mérite d'être vécue, chacun doit penser à lui en priorité et ne pas faire des choses à son déplaisir pour le bien abstrait d'un plus grand nombre. Au cours du développement ce ne sont peut-être pas précisément les points de vue développés. Ce bien du plus grand nombre par Ferrante reste assez abstrait et semble obéir à une autorité supérieure (Collaboration). Tandis que ce bonheur personnel défendu par Don Pedro n’est peut-être qu’une incarnation symbolique de la liberté face à l’autorité impersonnelle de l’Etat (Résistance).
En tout cas, il le daronne en lui rappelant sa crise d'ado qui n'a jamais cessé :
"On dit toujours que c'est d'un ver que sort le papillon ; chez
l'homme, c'est le papillon qui devient un ver." (I-3 p24)
"On peut avoir de l'indulgence pour la médiocrité. chez un enfant. Non
pour celle qui s'étale chez l'homme." (p26)
Le roi qui incarne une étrange forme de résistance autoritaire a tendance à être aveuglé par la personnalité de L’infante (p29). Et que signifie cette liberté tolérée dans le couple (p28) ?
Il y a un évidente actualité dans ces mots :
"Voyez-vous, je suis comme le vieux capitaine Orosco, qui s'était
battu pendant sept ans, ici et en Afrique, avec une bravoure de lion,
et qui, lorsqu'il fut mis à la retraite, me dit : « Je suis bien
content ! J'en avais assez de risquer ma vie tous les jours. » Avec
autant de simplicité, je vous dirai: j'en ai assez d'avoir tous les
jours peur." (I-4 p41 - Inès)
"FERRANTE : Pourquoi être plus sévère en ce moment-ci ? LE PRINCE :
Parce qu'en ce moment-ci nous avons besoin de coupables." (III-5,
p152)
Tout cela discute de la bonne option à prendre entre la facilité (la collaboration) et la lutte interminable (la résistance) ; La raison d'État et le bonheur personnel (p52) ;
Ça discute le rôle d'un gouvernant dans une situation désespérée et le rôle de ses acolytes ou opposants.
Ce dirigeant a cette extraordinaire remarque d'homme de crises :
"Plus heureuse ! Encore le bonheur, comme l'autre ! C'est une
obsession ! Est-ce que je me soucie d'être heureux, moi ?" (p54)
Écho
"Un enfant ! Encore un enfant ! Ce ne sera donc jamais fini !" (III-6,
p167)
Si les gens résistent, c'est parce que :
"Il y a toujours à gagner à avoir du courage."(I-7 p60 - Don
Christoval)
"Quiconque a été fait prisonnier par les siens est désormais mon
frère." (p62 - Pedro)
-> Sans doute le meilleur indice quant à son assimilation à la résistance.
À quoi correspond le nombre "treize" ? (p55)
Dans l'acte II, les personnages qui influent sur les décisions politiques sont mis en avant.
À quel prix peut on sacrifier une vie pour apaiser un royaume ?
"FERRANTE : N'est-ce pas cruauté affreuse, que tuer qui n'a pas eu de
torts? ALVAR GONÇALVÈS : Des torts! Elle en a été l'occasion." (II-1,
p73)
-> Tout est question de point de vue ! Ces remords du dirigeant laisse penser à une collaboration de dépit.
Peut-on quitter l'amour de manière rationnelle, pour un temps seulement, dans une pertinente décision politique ?
"INÈS : Dieu me protégera, si j'en suis digne. Mais pourquoi regarder
le ciel ? Regarder le ciel me ramène toujours vers la terre, car, les
choses divines que je connais, c'est sur la terre que je les ai
vécues. Nos passions sont les anges du Seigneur." (II-5, p129)
Quelle vérité croire quand chacun dissimule ?
L'état lui même décrit comme une édifiante plaie II-3, p92.
: "Sous la plume de Don Eduardo, la contre-vérité devient un
véritable bonbon pour l'esprit." (II-1, p68, Alvar Gonçalvès)
"Se plaindre est un des moyens d'obtenir. La pitié est d'un magnifique
rapport" (Idem, p66 - Ferrante)
La pureté même, le page de 13ans, prononce ces mots :
"Tout le monde trompe, ici" (III-2, p143)
Et il finira dans la didascalie finale par laisser de côté sa fidélité au roi pour "s'agenouiller parmi eux, lui aussi. Le cadavre du Roi reste seul." (p189)
Montherlant n’est pas ce qu’on appellerait un auteur progressiste, il offre d’ailleurs ici un bel exemple d'invisibilisation systémique de la femme :
"Le mariage de don Pedro et de l'Infante pourrait avoir lieu dans
quelques semaines ou quelques mois, si le Pape acceptait de donner
l'annulation, et si don Pedro y consentait." (idem, p93 - Ferrante)
-> Et Inès dans tout ça ?
Il y a une récurrence de l'évocation de l'Afrique depuis le début, pourquoi ? Peut être que cela correspond à l'Allemagne ou à la France de 36’. On dit dans III-5 qu'ils oseraient jamais attaquer les ennemies voisins et que les représailles sont de mise après une attaque.
Comme dans la majorité du théâtre de cette époque, le sentiment qui conclut la pièce est la résignation. La fatalité de la vie aura eu raison des convictions, seules persistent non pas même les obligations mais l'habitude des obligations qui n'offrent aucune raison d'être, simplement une persévérance dans la mort qui est promise à tout homme. (III-6 en particulier)
"Pourquoi est-ce que je la tue ? Acte inutile, acte funeste. Mais ma
volonté m'aspire, et je commets la faute, sachant que c'en est une."
(III-7, p181)
Il n'y avait plus de solutions, avant il aurait suffit de l'accord du pape pour rompre le mariage, maintenant "ce lien ne peut être brisé que par la mort du Pape". (III-4, p147)
À tel point que cela engendre ce genre de réaction qui condamnera Inès :
"Je n'aime pas la naïveté, Je hais le vice et le crime. Mais, en
regard de la naïveté, je crois que je préfère encore le vice et le
crime" (III-6, p169)
Cet espoir est le seul qui subsiste
: "Si on doit être puni seulement pour avoir eu trop de confiance, eh
bien ! tant pis : on est puni par les hommes, mais on ne l'est pas
devant Dieu" (idem, p178)
Dans l'ensemble, j'ai apprécié bien plus que ce à quoi je pouvais m'attendre.
En lisant cette œuvre, j’ai passé un moment ravissant. C'est une très belle prose, facile d'accès et c'est très agréable au beau milieu du XXème siècle. Il n’hésite pas à avoir recours à des poncifs assumés, pour rassurer peut-être, ou pour mieux faire passer les autres messages.
"Je t'aime comme le soleil aime le sable. Je t'aime, et aussi j'aime
t'aimer." (II-4, p108 - Pedro à Inès) "La nuit est mère de toutes
choses, et même d'effrayantes clartés." (III-3, p134, Ferrante)
C’est d’ailleurs sans doute pour son classicisme qu’il était tant apprécié à l’époque, c’est plus accessible, plus conservateur. Mais la postérité littéraire aura naturellement retenue pour nous les révolutions de cette période et Dieu sait qu’il y en a eu de nombreuses.
Il faudrait que je réfléchisse plus longtemps ou qu'on me mâche le travail pour savoir ce qui est vraiment dit dans la pièce, la résignation étant celle du pouvoir, j'ai du mal à assurer de qui elle fait la métaphore et si c'est bel et bien une métaphore.
Je vois peut-être en Ferrante, une sorte d’illustration du Maréchal Pétain, il est un faible fini mais peut-être était-il trop vieux pour proposer autre chose (justification très partielle évidemment).
Je relirai cette prose dans un autre livre un jour ou l’autre car elle est d’une qualité certaine. Belle découverte, probablement mon œuvre préférée des 4 au programme.