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"Ah l'innocente ! Qu'elle me plaît !"
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Oui moi aussi je fais partie du collectif Tous unis dans la haine pour le XVIIIe siècle mais pourtant ...
J'avais déjà flairé Diderot pour son Jacques le Fataliste assez singulier qui détonnait du caractère trop scolaire et raisonné qu'on prête au XVIIIe, mais alors cette Religieuse, c'est franchement quelque chose ! Je vous passe le caractère anticlérical du récit, ce livre contient surtout parmi les pages les plus belles de toute la littérature licencieuse ! Sévices d'horreur et rapports érotiques saphiques sont le lot commun de l'innocente (?) héroïne et c'est avec une pudeur inexistante que celle-ci les narre. Il faut bien émouvoir le destinataire masculin ...
"Je connais du moins le prix de la liberté, et le poids d'un état
auquel on n'est point appelée"
Ce récit est aussi licencieux d'un point de vue politique : on n'est pas sans penser à La Fontaine en lisant ce genre de phrase ... On nous exhorte à rester souvent prudents sur le statut "féministe avant l'heure" de certains auteurs: la Religieuse n'en est pas moins la mise en scène d'un personnage dont la revendication de liberté (de libertinage ?) occupe tout un roman. Ce récit est une bombe atomique absolue et la question de savoir pourquoi il a été publié de manière posthume ne demeure pas bien longtemps ...
Difficile aussi de ne pas noter l'extrême actualité d'un roman qui ne se gêne pas pour multiplier les questions sulfureuses que pose le catholicisme : la pommade passée par-ci par-là est si insuffisante qu'elle semble une énième provocation ... Parmi ces questions : celle de la sensation contre la raison. L'homosexualité est décrite comme une sensation innée et naturelle; la refouler est par ce biais l'acte "contre nature" conduisant à la folie. Les rapports amoureux, pourvu qu'ils soient tendres et sincères, sont reconsidérés en dehors de tout carcan.
On partait pourtant de loin: le récit est initialement écrit dans le but frivole de piéger un marquis (c'est un scam, comme l'écrit un confrère). Il finit pourtant par une fin ambiguë et machiavélique: en quelques lignes de post scriptum la narratrice parvient elle-même à semer le doute sur sa bonne foi et sa vertu prétendue, libre à nous alors de reconsidérer le récit comme un pur outil rhétorique pour que la narratrice parvienne à ses fins ...