Je suis parti du mauvais pied avec ce premier roman que je lisais de Jaenada, la Serpe. Il m'avait été conseillé par je ne sais plus quelle mailing liste ou conseil amical. J'avais compris qu'il s'agissait d'une sorte de contre enquête sur un triple meurtre dans un château dans le Périgord, juste après la défaite française durant la 2e guerre mondiale. Bref, un fait divers, avec une dimension sans doute historique, je ne pouvais qu'aimer !
J'ai commencé à lire sans rien savoir de l'auteur ni de son style. Ca explique sans doute mon désarroi quand après plusieurs dizaine (centaine?) de pages, j'ai du aller vérifier que je ne m'étais pas trompé de livre entre celui que j'avais entre les mains et celui qu'on m'avait conseillé. En effet, pas une seule trace d'un triple meurtre, mais les désillusions et névroses d'un parisien qui a loué une Mériva et qui s'inquiète d'un voyant sur son tableau de bord. Je n'avais pas fait 10% du livre, j'ai jeté l'éponge.
Quelques années plus tard, rebelote, on me conseille au printemps des monstres. Je vois le synopsis, et je me redis « chouette, ça devrait me plaire, en plus je connais pas l'auteur ». Ma mémoire étant farceuse, je me dis que ça m'évoque quand même quelque chose, et effectivement je fais le lien. Cette fois, je me dis que c'est bizarre d'être attiré à reprises par un auteur et son livre et ne pas avoir réussi à dépasser la centaine de page sur son 1er bouquin que je tente. Le printemps des monstres semblant plus long, je me lance alors à nouveau dans la serpe, en ayant cette fois une petite idée d'où je vais.
Jaenada a en effet un style où la digression, la parenthèse dans la parenthèse dans la parenthèse, l'anecdote personnelle prend autant de place que le cœur de l'histoire.
En fait, la serpe n'est pas l'histoire du triple meurtre du château d'Escoire, c'est l'histoire de Jaenada qui va enquêter sur Henri Girard, dit Georges Arnaud (qui rentrera dans la postérité, entre autre, pour avoir écrit le roman Le salaire de la peur, à l'origine du film du même nom). Mais avant ça, le bonhomme va donc mener une vie romanesque dont le point d'orgue est cette accusation du triple meurtre dans le château d'Escoirre appartenant à sa famille, où son père, sa tante et la bonne sont retrouvés massacrés à la serpe, alors qu'il dormait du sommeil du juste au 1er étage du château.
Forcement, avec sa vie décrite comme bohème si on veut être poli ou dans l'euphémisme, et la somme dont il va hériter si tout le monde meurt, tout le désigne comme coupable. Des années après, renforcé par de nombreux romans ou émissions TV ou radio, c'est encore et toujours lui le coupable idéal.
Jaenada, qui est mis sur cette piste par son ami Manu Girard, le petit fils dudit Henry, va donc aller sur place pour se faire son idée. La travail engagé, pas tant sur le terrain que dans les nombreuses archives, est à lui seul à saluer. Tel un avocat, il reprend chaque pièce chaque retranscription des interrogatoires et se forge petit à petit sa propre opinion.
Il nous la transmet de façon très vivante, en commençant par nous faire une biographie partielle de la famille Girard. Puis du procès, tel qu'il est resté dans la postérité, à charge contre Girard le désignant comme coupable
(et rendant donc incompréhensible son acquittement, sinon à imaginez que son avocat Garçon était effectivement un sur-homme des cours de justice)
Et enfin, Jaenada nous donne son intime conviction. Le tout très (parfois trop) sourcé et argumenté.
La force du roman est sans doute là, dans les talents de conteur de l'auteur. Si on veut l'histoire, que l'Histoire, uniquement les histoires ; passons notre chemin. Mais si on veut une histoire, celle que s'est raconté Jaenada, alors asseyez vous, prenez un whisky et écoutez bien. C'est un peu comme les histoires de votre oncle aux mariages. Si il commence son histoire alors que vous êtes en train d'essayer d'écouter le discours du marié, ses nombreuses anecdotes et blagues vont vous énerver. Mais si vous n'avez rien d'autres à faire que d'attendre la pièce monté, les talents d’orateurs, les histoires drôles, les clins d’œil à celui qui a été attentif à ces petits détails 100 pages plus hauts (voir au livre précédent), les éclairages historique ou sociologiques vont rendre le tout très agréable (sans en faire de la grande littérature, encore que, il y a des instants de grâce inégalés).
On obtient, à travers ce fait divers qui pourrait se résumer en un article de quelques pages, un descriptifs d'une société, de sociétés mêmes (les châtelains, les périgourdins, le milieu de la justice et des forces de l'ordre en 1941 en France, les maisons d'éditions...) très intéressants. Et on va apprendre à connaître puis éventuellement apprécier certains des personnes décrit (ou au contraire finir par les détester ou au moins à douter de leur bienveillance).
Le tout sans incriminer des personnes, mais plutôt des personnages ou des idées que se fait l'auteur de ces personnages au travers des archives qu'il a utilisé comme matière première.
Si on vient lire l'idée que se fait Jaenada de cette histoire et pas l'histoire elle même, alors ce livre vous fera passer un moment agréable, bien qu’alourdit parfois par des longueurs, des listes ou anecdotes à rallonge (on voit qu'il a eu beaucoup d'éléments, et parfois les balance sur nous à la pelle). Ce qui est agréable, c'est que l'on a toujours une remarque de l'auteur pour nous dire si on est dans les faits ou dans son opinions.
Libre à nous de le suivre ou de garder ce roman comme une hypothèse ou encore un simple reflet d'une époque, faite par un parisien plongé dans les archives départementales de cette époque.
En tout cas, moi c'est décidé, je me lance dans le roman suivant, Au Printemps des monstres !