Cocktail de tristesse et de drôlerie

Cela fait plusieurs années que Paul Katrakilis est pelotari professionnel au Jaï-Alaï de Miami, ce casino où l’on parie sur les joueurs de pelote basque. Diplômé de médecine, il a préféré s’écarter de la voie tracée par son père et son grand-père, eux-mêmes médecins, pour vivre modestement d’une passion qui lui permet en outre de prendre ses distances avec une famille aux tendances névrotiques et suicidaires. Le décès paternel le rappelle toutefois à Toulouse, pour y régler une succession qui va s’avérer bien plus encombrante qu’escompté : on n’échappe pas si facilement à ses atavismes…


On se délecte chaque fois autant de la plume et de l’humour de Jean-Paul Dubois qui, du rire aux larmes, entre gravité et légèreté, nous embarque pour notre plus grand plaisir dans l’exploration de ses thèmes de prédilection. Nous nous retrouvons donc à nouveau aux côtés d’un narrateur prénommé Paul, appliqué à se choisir une vie outre-atlantique pour se retrouver irrémédiablement rattrapé par un destin familial aux allures de malédiction. Si le propos s’habille d’une fantaisie cocasse, accentuant avec dérision les névroses qui ravagent chaque membre de la famille Katrakilis, il n’en suinte pas moins une profonde mélancolie, alors que l’envie de vivre, grignotée par le deuil, la solitude et la désillusion, y cède peu à peu la place à l’aliénation et à la dépression. Les personnages, enlisés dans le sillon de vie tracé par leur filiation, subissent un destin qui les emprisonne et leur coupe les ailes, au point que leur liberté finit par se résumer au seul choix de leur fin de vie.


De la pelote basque convertie en business mafieux au droit de grève quasi inexistant aux Etats-Unis, de la médecine aux ordres de la dictature soviétique à celle qui se résout discrètement à pratiquer l’euthanasie réclamée par ses patients, d’automobiles miteuses à d’autres presque mythiques, ou de la disparition du dernier quagga dans un zoo d’Amsterdam au touchant attachement à un chien sauvé de la noyade, la balade finit, malgré tous ses détours, par nous ramener à l’essentiel : « Je regrette de ne pas avoir su trouver ma place. » « Il ne faut jamais se tromper de vie. Il n'existe pas de marche arrière ».


Ce texte admirablement écrit, dont la désespérance se pare élégamment d’un humour désabusé, est un curieux cocktail de tristesse et de drôlerie qui vous empoigne le coeur comme il vous séduit l’esprit. Il ne déroge pas à la règle : les romans de cet auteur sont irrésistibles. Coup de coeur.


https://leslecturesdecannetille.blogspot.com

Cannetille
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 21 mai 2021

Critique lue 79 fois

Cannetille

Écrit par

Critique lue 79 fois

D'autres avis sur La Succession

La Succession
RaphPec
7

" Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait le même ni tout à fait un autre "

Comme d'habitude chez Dubois, il y a des digressions charmantes, des scènes cocasses, des personnages hauts en couleur, des ellipses, un vocabulaire recherché et des sentiments peu traités en...

le 19 sept. 2016

3 j'aime

1

La Succession
Queenie
7

Froide mélancolie.

Paul Katrakilis vit une existence paisible à Miami, dans la routine solitaire d'un joueur professionnel de Cesta Punta (pelote basque). Puis Paul sauve un chien de la noyade, l'adopte, le nomme...

le 11 sept. 2016

2 j'aime

La Succession
cazesraymond
4

2 cahpitres

Énervant! Monsieur Dubois sait écrire, il n'y a aucun doute. Je ne lis jamais les 4 ème de couverture avant de lire un livre. Toujours après. En général les textes de ces 4èmes sont là pour vous...

le 1 févr. 2020

1 j'aime

1

Du même critique

Veiller sur elle
Cannetille
9

Magnifique ode à la liberté sur fond d'Italie fasciste

En 1986, un vieil homme agonise dans une abbaye italienne. Il n’a jamais prononcé ses vœux, pourtant c’est là qu’il a vécu les quarante dernières années de sa vie, cloîtré pour rester auprès d’elle :...

le 14 sept. 2023

19 j'aime

6

Le Mage du Kremlin
Cannetille
10

Une lecture fascinante

Lui-même ancien conseiller de Matteo Renzi, l’auteur d’essais politiques Giuliano da Empoli ressent une telle fascination pour Vladimir Sourkov, « le Raspoutine de Poutine », pendant vingt ans...

le 7 sept. 2022

18 j'aime

4

Tout le bleu du ciel
Cannetille
6

Un concentré d'émotions addictif

Emile n’est pas encore trentenaire, mais, atteint d’un Alzheimer précoce, il n’a plus que deux ans à vivre. Préférant fuir l’hôpital et l’étouffante sollicitude des siens, il décide de partir à...

le 20 mai 2020

17 j'aime

7