Quelquefois des livres résonnent ensemble, se font l'écho des uns et des autres, créent une implexe mélodie ; et j'entends cette Symphonie pastorale composée par André Gide dans l'aride Désert de l'amour traversé par François Mauriac. Une même partition pour deux romans différents. Mes oreilles, intriguées, questionnent forcément cette harmonie et découvrent, satisfaites, que les deux hommes échangeaient leurs notes, nombreuses et noires, dans une correspondance épaisse.
Chez Gide, père et fils, tombés sous le charme d'une même femme, innocente au possible parce qu'isolée du monde impur par ses sens, — sa vue surtout, perdue à la naissance, — éprouvent leur relation dans l'austérité du dogme protestant, tandis que leur protégée commune découvre, horrifiée, que le monde n'est pas aussi charmant qu'elle. Ce triangle amoureux, émoussé comme celui de Mauriac, procure un plaisir étonnant pour le lecteur, presque transgressif, alors même que le récit rejette loin l’obscénité. L'incohérence dans les dates telles qu'elles sont relevées par le pasteur dans son journal n'enlève rien à la joliesse du texte et à la cruauté de l'histoire : les yeux aiment peut-être plus que le cœur.