Grandeur et décadence d’un Monsieur-tout-le-monde face à la crise

Bernard est un monsieur-tout-le-monde. Son prénom, banal au possible, semble avoir déterminé toute sa vie : il a une bonne bouille, rassurante car parfaitement oubliable, une femme et une fille, une carrière de banquier sans vagues mais sans éclat. Sans ambition véritable mais sincèrement attaché à son métier, il vit son train-train sans chichi, flottant au milieu de l’échelle hiérarchique et de la pyramide des âges.


Jusqu’au jour où. La crise. Les banquiers deviennent les boucs-émissaires d’une opinion précarisée et l’agence, cadre structurant du quotidien de Bernard, un champ de bataille inavoué. Du jour au lendemain, la hiérarchie fait tomber les têtes pour faire tomber les coûts. Peu habitué à anticiper les remous, Bernard ne sort pas les griffes ; il ne pense pas devoir s’accrocher à son poste. Aussi est-il surpris lorsqu’il prend conscience des efforts de sa direction pour le mettre dehors –trop tard. Voilà Bernard en terrain inconnu ; lui qui a fait toute sa carrière dans la même agence se retrouve sur le marché de l’emploi.


Après l’immense succès de La Délicatesse, David Foenkinos nous parle de la fragilité, celle d’un homme qui, emmitouflé dans son cocon familial et professionnel, se retrouva bien dépourvu quand la crise fut venue. Au fil des pages, Bernard le parfait quidam devient la plus grossière des anomalies : un chômeur divorcé de cinquante ans. Lui qui n’avait jamais attiré l’attention devient source de gêne, de commisération, et se découvre une fierté –meurtrie– lorsqu’il s’essaie à la rédaction de CV (relu par sa fille) ou au réseautage. L’échec est complet lorsqu’il échoue (au sens propre) chez ses parents. Retour dans sa chambre d’ado et au point de départ.


Le portrait est touchant et l’auteur parvient à distiller, au gré des vagues qui viennent frapper le roc Bernard, quelques réalités sociales plus habituées aux pages des hebdomadaires qu’à celles des romans : la maladresse des couples qui se retrouvent après le départ des enfants, la difficulté à renouer avec la tendresse quand l’habitude a pris le dessus et le sentiment d’inutilité pour les rejetés du système (vieux, chômeurs, célibataires). Ainsi, le livre n’est jamais aussi juste que lorsqu’il met en parallèle le déclin de Bernard et l’envol de sa fille.


La force du livre est de n’être jamais plombant. Malgré son sujet, David Foenkinos a pris le parti de l’absurde, de la légèreté. Son Bernard a la décadence d’un héros tragique mais la balourdise d’un acteur comique. Résultat, l’on sourit plus qu’on ne pleure et la réflexion est non pas affichée mais distillée. Un joli sujet pour un joli moment de lecture.

CLaze
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le 2 mai 2016

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