Dans l’art, le qualificatif « froid » est utilisé sur un ton péjoratif. Par l’utilisation de ce terme, on pointe du doigt une œuvre étalant une insensibilité glaciale et se montrant désincarnée. Cela est problématique puisque tout art se base sur la quête de l’émotion. Une œuvre doit s’insinuer en nous et provoquer des réactions enflammant tout notre être que ce soit en bien ou en mal. Si l’œuvre vous laisse de marbre, c’est qu’il y a quelque chose de fondamentalement raté. Si ce que l’on voit s’apparente à quelque chose de fonctionnel et métallique, ce manque d’âme ne suscite qu’une seule réaction : l’indifférence. Michael Crichton est d’une certaine manière un auteur froid. Ayant suivi de longues années d’études de médecine avant de se tourner pleinement vers l’écriture, Crichton souffre d’une sorte de déformation professionnelle. Ses romans sont en effet teintés d’un formalisme somme tout scientifique. Son style est relativement neutre dans le sens où il se concentre sur une tentative de retranscription factuelle et objective d’évènements. Intéressant pour l’intellect, ce genre d’écriture ne déchaîne pas de grande passion en ce qui concerne la libération des sens. Pourtant, Crichton est un auteur de best-seller et rencontrera le succès à chacune de ses publications. Comment cela peut-il être possible ? La réponse est simple. Crichton a une parfaite connaissance de ses limites d’écrivain et joue avec la froideur qui caractérise sa plume. Cela peut prendre un tour ludique comme l’insertion de diagrammes et de configurations informatiques dans le diptyque constitué par Jurassic Park et Le Monde Perdu. Cette maîtrise peut également être utilisée de manière plus complexe dans le cas du récit anthropologique des Mangeurs De Morts. C’est un soin similaire que l’on retrouve dans l’un de ses premiers grands succès en librairies : La Variété Andromède.

Publié en 1969, ce roman relate comment un satellite retourne sur terre avec à son bord un virus inconnu qui tue instantanément tout ceux qui entrent en contact avec lui. Le récit suit un groupe de scientifiques qui tente de trouver une solution pour empêcher une potentielle contagion à l’échelle mondiale. Dès la première page, Crichton joue avec le concept aujourd’hui si courant du « inspiré d’une histoire vraie ». Le roman s’introduit ainsi comme un dossier classé top secret dans lequel est résumé tout le déroulement de la crise inhérente à la variété Andromède. Au-delà d’insinuer au lecteur la plausibilité des évènements à suivre (il s’avère, soit dit en passant, que l’armée a des projets forts semblables au Wildfire décrit par Crichton), ce choix permet d’accepter la certaine rigidité de l’écriture. Celle-ci s’applique donc à décrire les faits précisément avec la distance scientifique nécessaire. Si on s’attarde par moment sur les pensées des personnages, ce n’est que pour justifier la démarche de leurs actions. Une orientation donc froide en termes d’émotion mais qui, dans le contexte où elle se place, devient une véritable expression artistique.

Si Crichton masque par ce choix un potentiel manque de teneur dans son écriture, il va surtout réussir à exprimer par là le cœur de son sujet. Le livre se concentre donc principalement sur l’étude du virus par les scientifiques. Ces derniers voient les dégâts qu’il commet, examinent sa forme, définissent sa nature, tentent de comprendre son fonctionnement… Crichton traduit fidèlement leur pragmatisme face à la situation et le caractère pointilleux de leurs analyses. Or en adoptant le même état d’esprit que ses personnages, Crichton met en relief la problématique dans ce qui apparaît comme un système parfait. Bien que l’on ne le perçoive pas forcément comme tel, les œuvres parlant de menace biologique reposent sur un principe d’antagonisme. Nous avons en effet deux forces qui s’opposent, deux entités vivantes qui se partagent le même espace : l’homme et le virus. Le second a beau être immensément petit et simple par rapport au premier, c’est bel et bien un être vivant. Si on doit se reposer sur un schéma classique d’antagonisme, il doit y avoir une part de communication, d’échanges plus ou moins distancés entre les deux forces opposées. Il est évident dans le cas présent que l’homme et le virus sont trop différents afin de pouvoir établir une communication. En l’absence de compréhension sur les agissements néfastes du virus, l’homme se rabat sur l’étude scientifique pour obtenir une réponse.

On le sait, toute étude scientifique correctement effectuée ne doit pas être interférée par de quelconques émotions. Nos sentiments sont quelque chose de purement subjectif (aucun individu ne réagit exactement de la même manière face à un événement). Or, il faut analyser avec objectivité afin de ne pas tirer de mauvaises conclusions sur la réalité des choses. Les scientifiques doivent faire abstraction de leurs émotions pour avoir confiance en leurs analyses. Par ce comportement, l’homme se place à l’extrême opposé du virus. Ce dernier vit, croit, mute… Bref, exploite ses possibilités avec une inconscience naturelle. Alors qu’il a la conscience de sa propre existence, l’homme choisit d’enfermer ses émotions pour s’approcher d’un autre être vivant. Cette idée de contact est rendue d’autant plus forte par l’origine spatiale du virus. Un des scientifiques angoisse d’être face au premier contact avec une vie extraterrestre et de détruire celle-ci car n’arrivant pas à comprendre ce qu’elle veut lui dire (les morts causées pourraient être « juste » une maladresse due à deux organismes trop dissemblables). L’angoisse est bien sûr une émotion mais le personnage refoule celle-ci afin qu’elle n’affecte pas son travail… et bien sûr c’est rigoureusement impossible.

Les scientifiques luttent contre une forme de vie pure et en refoulant les intuitions premières liées aux émotions, ils commettent un grand lot d’erreurs. Le livre s’attache à nous décrire le fonctionnement de Wildfire avec un soin maniaque en démontrant sa logique infaillible. Or, cette logique s’effondre à cause de quelques détails (un simple bout de papier déchiré rend impossible tout contact de l’extérieur) et surtout de la tentative de contrôler un comportement ouvertement instable. Les scientifiques ont leurs failles psychologiques et, en désirant les mettre de côté, ils se coupent d’une part de leur esprit d’analyse. Ainsi, c’est celui qui aura les connaissances scientifiques les moins pointues qui percera le mystère du virus. Une compréhension qui passera par l’acceptation de l’émotion la plus basique dans ce type de situation : la peur. Quitte à pousser le vice jusqu’au bout, Crichton construira en guise de final un brillant suspense où la catastrophe ne vient plus du virus lui-même mais de la si parfaite logique humaine. Une magnifique ironie que synthétisera la phrase finale : la décision n’est pas entre nos mains.
Courte-Focalefr
8
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le 29 janv. 2013

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