Pierre Bayard s'amuse. Il y a toujours un plaisir intellectuel, du moins sur le papier, à suivre ses enquêtes, ses contre-enquêtes, ses reflexions littéraires. Il fait appel à des théories psychologiques, à l'art de la presditigitation, à une certaine érudition sur l'art du polar. J'aime beaucoup ses intentions, son envie de promouvoir l'imaginaire et la créativité, sa manière de produire non pas de la critique littéraire, mais de la recréation narrative.
J'avais lu son livre sur les lieux où l'on n'a pas été et celui sur l'Affaire du chien des Baskerville.
J'ai eu la même impression dans cet essai sur le livre d'Agatha Christie que lors de ces deux précédents livres.
C'est passionnant sur le papier, mais ça s'écrase dans les faits. Il y a une véritable ambition inventive mais le propos lui est un peu léger, voire carrément confus et maladroit (c'est le cas dans le livre sur les lieux où l'on n'a pas été)
Ici un bon tiers du livre est dédié au résumé du livre original. Pour ceux qui ont lu le livre d'Agatha Christie juste avant, c'est horriblement inutile et horriblement long. Pour les autres, s'il est utile de rappeler des faits pour les lecteurs qui ne se souviendraient pas de l'intrigue, cela me semble tout de même un peu rébarbatif. Il aurait pu les rappeler en utilisant une rhétorique d'investigation plus élaborée. Non pas en les plaquant tels quels (peu ou prou) dans son livre. Il n'y a là aucune recréation. Juste de la copie.
Plus d'un deuxième tiers du livre est dédié au développement de théories psychologiques ou d'analyse du polar qui préparent la nouvelle résolution de Bayard. Il y a des répétitions dans ces passages et des longueurs qui auraient pu être évitées. Les biais cognitifs, les illusions d'optiques, les détournements d'attention, les phénomènes d'aveuglement recoupent des phénomènes similaires qui auraient pu être regroupés plus synthétiquement. L'ensemble est ingénieux mais se révèle en définitive un peu maigre.
Enfin la résolution, bien qu'annoncée par des questions légitimes sur l'intrigue absolument invraisemblable de Christie (voir ma critique) me semble être tout aussi grotesque que celle de l'original. Disons qu'au moins elle est parfaitement gratuite. Toute l'histoire du cadavre ajouté et du quidam embauché pour un spectacle d'illusioniste est ridicule et sort de nulle part. L'explication du meurtre à la pendule est alambiquée et pénible. Le mobile du tueur, bien qu'agencé à d'autres ouvrages de Christie, n'est malheureusement pas beaucoup plus solide que celui de l'original.
J'apprécie les intentions de Bayard, mais en définitive, il reste un homme aux théories et aux investigations bien superficielles et simplement ludiques. Il ne cesse de répéter (par jeu) que depuis quatre vingts ans, aucun des millions de lecteur n'a remarqué l'anarque de la résolution des Dix Petits Nègres. Or je ne pense pas être le seul lecteur à avoir trouvé la mise en scène de Christie ridicule de bout en bout. C'est bien de jouer à l'original, mais encore faut-il l'être véritablement.
Ce que je regrette sur Pierre Bayard, c'est qu'au lieu d'apporter du poids et du sérieux à la littérature, il a choisi une voie plus facile et agréable qui consiste à jongler aves des histoires facile à remanier, avec des concepts un peu creux et des théories un peu légères.
J'apprécie malgré tout qu'il invite les lecteurs à une lecture active, qu'il les incite à la réécriture, à l'investigation fictionnelle, à différentes activités créatives.